Constante atteignabilité: Doit-on dire adieu à ses loisirs?
Aides de travail appropriées
Constante atteignabilité
De nos jours, la quasi-totalité des employeurs fournissent à leurs employés une ribambelle d‘appareils électroniques. Le phénomène a commencé par les téléavertisseurs (Pager), puis les téléphones portables, les Blackberry et jusqu’à l’omniprésent et actuel téléphone intelligent (smartphone). Une connexion permanente à Internet est aujourd’hui un standard parfaitement admis depuis un certain temps déjà. L’arrivée des appareils mobiles dans le monde du travail a élevé les attentes en matière de travail et la constante atteignabilité des travailleurs, ces derniers pouvant en effet être joints en tous temps par téléphone, courriel ou encore via les médias sociaux pour des motifs professionnels ou liés à leurs prestations de travail.
La question de la charge de travail en pose à son tour de nombreuses autres
Il est notoirement admis que cette nouvelle forme de charge du travail peut devenir, d’un certain point de vue, un fardeau pour les collaborateurs concernés. Le fait de pouvoir être atteint en tous temps peut provoquer des tensions chez le travailleur et aboutir à des situations de stress permanent et peut en outre porter préjudice à sa santé. Toutefois, mettre l’appareil incriminé hors tension s’avère pour le moins encore plus problématique.
Du point de vue du droit du travail, les principales questions soulevées sont celles liées à la protection de la personnalité, à la protection des données, au temps de travail et de repos, à d’autres normes de droit du travail, à la rémunération, au remboursement des débours, au droit des vacances et à la question d’une décision de mise en œuvre unilatérale de la part de l’employeur. Le droit du travail suisse ne s’y est que rarement confronté et la doctrine non plus. On doit donc essayer de préciser les contours encore quelque peu informes des „hauts-lieux“ relevés par le droit du travail en la matière.
La question primordiale du temps de travail
Un grand nombre de questions de droit du travail découle d’une question primordiale: faut-il – et si cela est le cas, dans quelle mesure – considérer l’atteignabilité permanente du travailleur comme du temps de travail? Le législateur a déjà traité de la question de la notion de „temps de travail“ à l’art.13, al.1 de l’Ordonnance 1 relative à la loi sur le travail (OLT1): „est réputé durée du travail au sens de la loi le temps pendant lequel le travailleur doit se tenir à la disposition de l'employeur“. Cette formulation doit être comprise dans le sens général d’une sujétion immédiate à des directives : toute période que passe le travailleur à satisfaire les intérêts économiques de son employeur avec l’assentiment de ce dernier est réputé temps de travail. Il s’ensuit également que les périodes que le travailleur passe à la maison dans l’intérêt de l’employeur et avec son assentiment mais hors de son pouvoir immédiat prévalent également à titre de temps de travail.
L’article 13 OLT1 exprime déjà l’idée que la notion de temps de travail ne devrait pas être liée à celle de la taille de l’entreprise dans laquelle on travaille ou à sa situation géographique ni au fait que l’on passe du temps à travailler en son sein ou à utiliser les moyens mis à disposition par celle-ci. La prestation en relation avec le temps de travail ne présuppose pas non plus que le travailleur doive exercer directement ses activités pendant la période incriminée; il peut tout aussi bien passer du temps de travail avec un degré d’occupation moindre ou par le simple fait d’être présent sur place (par exemple, être de piquet dans un établissement hospitalier) à la disposition de son employeur.
A disposition ou en service?
En revanche, toutes les périodes passées dans l’intérêt partiel de l’employeur ne doivent pas être considérées comme du temps de travail car il importe particulièrement que celles-ci le soient dans l’intérêt prépondérant de l’employeur si elles comptent être considérées de la sorte. Une simple mise à disposition sur annonce dans laquelle on peut passer du temps à satisfaire des intérêts privés et non ceux de l’employeur ne compte pas, aux yeux de la loi sur le travail et pour le moins au sens du droit public, à titre de temps de travail.
Malgré ces questions encore très ouvertes, on peut en retirer deux choses:
Le laps de temps effectif qu’un travailleur consacre, par exemple, à répondre à un appel, à lire un courriel, à y répondre ou à prendre part à une vidéoconférence doit prévaloir à titre de temps de travail du point de vue du droit public comme du droit privé.
Lorsque le travailleur est par trop souvent dérangé par la réception d’appels et de courriels du fait de son atteignabilité et que les moments qu’il a entre-deux pour se détendre deviennent à ce point brefs qu’ils ne peuvent plus être mis à profit pour occuper son temps libre, on considère alors que la totalité de sa période de disponibilité a été utilisée au profit de son employeur et doit être pleinement considérée comme du temps de travail – ce qui ne signifie toutefois pas forcément que le dédommagement auquel il a droit équivaudra à un salaire entier, comme le cas suivant le mettra en évidence.
Recommandations de produits
Le service de garde doit être indemnisé
Le salaire est – exception faite de certaines mesures peu pertinentes dans ce contexte (par exemple les salaires minimaux prévus par les CCT) - l’affaire de l’accord passé entre les parties. Les cocontractants peuvent également conclure, dans le cadre du contrat de travail, que la seule atteignabilité doive être indemnisée à prix réduit ou non ou même que les engagements professionnels effectués en dehors des horaires de l’entreprise puissent être considérés comme déjà rémunérés par le biais du salaire versé. La loi sur le travail et les conventions collectives de travail posent quelques limites à ces accords – qui, pour la plupart du temps et la plupart d’entre elles - ne peuvent toutefois pas être appliquées aux „cadres Blackberry“.
Conseil pratique: Les employeurs qui exigent une atteignabilité permanente de la part de leurs collaborateurs seraient bien inspirés de mettre en place une marge de manoeuvre contractuelle et de prévoir une réglementation salariale claire dans le contrat de travail qu’ils escomptent soumettre. S’ils ne le font pas ou si celle-ci n’existe pas, ils devront partir du principe que leurs salariés réclament au moins des arriérés de salaire pour les engagements professionnels effectifs auxquels ils ont consenti et ce pour la totalité de la durée de l’atteignabilité, indépendamment du fait de savoir si et comment de tels engagements ont eu lieu ou non.
Les frais doivent être remboursés
Dixit l’art. 327a, al.1 CO, l'employeur rembourse au travailleur tous les frais imposés par l'exécution du travail et, lorsque le travailleur est occupé en dehors de son lieu de travail, les dépenses nécessaires pour son entretien. S’il s’ensuit que l’utilisation d’appareils électroniques est à même d’assurer une atteignabilité permanente et que celle-ci résulte d’une consigne donnée par l‘employeur ou du moins que celui-ci souhaite sciemment qu’il en soit ainsi, il devra dès lors indemniser le travailleur à hauteur des frais occasionnés, par exemple prendre à sa charge les frais de télécommunication.
Un accord écrit, un contrat-type de travail ou une convention collective peut prévoir que les frais engagés par le travailleur lui seront remboursés sous forme d'une indemnité fixe, telle qu'une indemnité journalière ou une indemnité hebdomadaire ou mensuelle forfaitaire, à la condition qu'elle couvre tous les frais nécessaires (art.327a, al.2 CO).
Une disposition unilatérale est hasardeuse
Sur une base contractuelle, c’est-à-dire avec l’assentiment du travailleur, l‘atteignabilité permanente de celui-ci peut être établie de manière fiable dans le cadre des limites esquissées par la loi. Les problèmes peuvent survenir, pour l’employeur, lorsque rien n’a été prévu contractuellement parlant et que l’employeur souhaite imposer unilatéralement cette atteignabilité au travailleur par voie de directive.
Les directives intervenant dans l’organisation des loisirs ou, autrement dit, dans la vie privée du travailleur ne sont admissibles que de manière très restreinte. La mise en place d’une atteignabilité permanente par seule voie de directives, qui ne reposerait sur aucune base contractuelle, dépasserait alors clairement les limites fixées par la loi et serait dès lors illicite. Demeurent réservées ici aussi certaines urgences qui nécessitent que le devoir de fidélité du travailleur doive être étendu. En outre, conformément à la situation qui se présente, le domaine incriminé peut également permettre un élargissement du droit de donner des directives.
Des questions de droit public en suspens
Les questions relatives au salaire et aux vacances mises en évidence jusqu’ici relèvent du droit contractuel privé. La compatibilité d’une atteignabilité permanente du travailleur avec les prescriptions du code des obligations (CO) demeure donc en suspens. La législation sur la protection du travail n’est pas réglée par le code des obligations en Suisse mais par des lois de droit public. Ont été prévues à cet effet la loi sur le travail, les ordonnances qui l’accompagnent et qui réglementent de manière contraignante la durée maximale de travail, le temps de repos, le travail de nuit, le travail dominical et la saisie du temps de travail.
Constante atteignabilité est, jusqu’à ce jour, source de tensions en grande partie inexpliquées en ce qui concerne les dispositions de droit public édictées en la matière. L’on est donc en droit de se poser la question de savoir si un employeur qui attend de ses employés une atteignabilité permanente de nuit ou le dimanche ne devrait pas demander l’obtention d’une autorisation pour travail de nuit ou travail dominical. Il est indubitable qu’une personne qui reçoit un courriel de son chef et y répond le dimanche ou qui entame une discussion - ne serait-ce que de quelques minutes - avec un client d’outre-mer après 23h00 fournit une prestation professionnelle au sens de la loi sur le travail.