Absences justifiées et injustifiées: Cas de figure et conséquences

L’une des composantes essentielles du contrat de travail consiste en la fourniture d’une prestation de travail de l’employé. Il existe cependant un certain nombre de situations dans lesquelles celui-ci est dispensé de travailler, pour des raisons diverses, avec ou sans incidence sur sa rémunération.

27/08/2024 De: Jean-Lou Maury
Absences justifiées et injustifiées

Absences justifiées et injustifiées

L’art. 319 al. 1 CO énonce le principe : alors que la prestation principale de l’employeur consiste au versement d’un salaire, celle du travailleur consiste en la fourniture d’une prestation de travail. Cette dernière peut néanmoins être suspendue dans différentes situations. La présente contribution vise à exposer, de manière non exhaustive, certaines de ces hypothèses dans lesquelles l’absence du travailleur est justifiée par la loi et les conséquences qui en découlent sur le paiement du salaire. Absences justifiées et injustifiées seront également abordées pour clarifier les conséquences d’une absence injustifiée au travail.

Absence due à une raison inhérente à la personnalité du travailleur

Le premier cas de figure auquel on pense lorsqu’il est question d’absence au travail est celui d’un empêchement de travailler non fautif dû à des raisons inhérentes à la personnalité du travailleur, régi par les art. 324a et 324b CO. Cette notion couvre explicitement les absences justifiées et injustifiées pour cause de maladie, d’accident, d’incapacité de travail liée à la grossesse et d’accomplissement d’une obligation légale (par ex. service militaire, protection civile, service civil, service du feu, obligation de témoigner devant un tribunal, obligation d’être scrutateur lors de votations populaires ou de participer au dépouillement, détention provisoire lorsqu’elle est injustifiée, fréquentation de cours obligatoires) ou d’une fonction publique (par ex. exercice de mandats politiques dans une autorité législative ou exécutive). Outre ces situations prévues par la loi, d’autres hypothèses sont assimilées à de tels empêchements, soit notamment le mariage du travailleur, la naissance d’un enfant du travailleur, le décès d’un proche dans la famille du travailleur, la consultation urgente d’un médecin ou d’un dentiste (si la consultation ne peut avoir lieu en dehors des horaires de travail) ou encore la présentation à un examen professionnel. En revanche, les absences résultant de purs motifs de convenance personnelle (par ex. une intervention de chirurgie esthétique) ne constituent pas des empêchements non fautifs de travailler1. Du moment que l’empêchement de travailler est non fautif (une faute serait retenue par exemple si le travailleur subit les conséquences d’un accident de la route qu’il a lui-même causé en état d’ébriété qualifié), l’absence qui en résulte est justifiée. Celle-ci donne alors droit au paiement du salaire ou à une rémunération compensatoire (prestations d’une assurance sociale ou privée), aux conditions fixées par les art. 324a et 324b CO. 

Absence due à des responsabilités familiales

Depuis le 1er janvier 2021, l’art. 329h CO prévoit explicitement un droit à un congé payé pour la prise en charge d’un membre de la famille ou du partenaire du travailleur atteint dans sa santé. La notion de proches comprend les parents, les enfants, les frères et sœurs, le conjoint, le partenaire enregistré, les beaux-parents, les enfants d’un autre lit et le concubin faisant ménage commun depuis au moins cinq ans avec l’employé. Ledit congé ne peut excéder trois jours par cas et dix jours au total par an. S’agissant des employés soumis à la Loi fédérale sur le travail (LTr), la limite de dix jours par année n’est pas applicable lorsqu’ils doivent s’absenter pour prendre en charge leurs enfants malades (art. 36 al. 4 LTr). Ce congé permet à l’employé de s’absenter pour apporter son soutien à un proche nécessitant des soins et organiser sa prise en charge, tout en percevant son salaire complet. La preuve de l’atteinte à la santé du proche doit être prouvée par certificat médical. Lorsque l’absence dépasse les durées prévues par les art. 329h CO et 36 LTr (soit l’absence a duré plus de trois jours pour une même atteinte à la santé, soit l’employé s’est déjà absenté plus de dix jours sur l’année en cours), l’employé peut malgré tout se dispenser de travailler pour s’occuper du proche envers qui il a une obligation légale d’entretien, à savoir un enfant, le conjoint ou le partenaire enregistré2, en se fondant sur l’art. 324a CO. C’est ainsi le crédit de salaire accordé par cette disposition (échelle bernoise) qui couvrira les jours d’absence dépassant les crédits accordés selon les art. 329h CO et 36 LTr3. En d’autres termes, l’employé peut ainsi cumuler les crédits de salaire prévus par ces différentes dispositions4. La question de savoir si l’absence de l’employé pour garder un enfant non malade car momentanément dépourvu de solution de garde (par ex. en cas d’incapacité de travail de la nounou ou de fermeture imprévue de la garderie) constitue un cas d’empêchement non fautif de travailler est controversée en doctrine5.

Absence due à des circonstances extérieures au travailleur et à l’employeur

Il peut arriver que l’employé soit empêché de se rendre au travail pour des causes dont il n’est pas responsable et qui ne le touchent pas individuellement. L’on pense notamment aux aléas météorologiques ou catastrophes naturelles provoquant l’annulation d’un vol de retour ou la coupure d’une route d’accès ou à la paralysie des moyens de transport résultant d’une grève. Dans ces hypothèses, tant l’obligation de l’employé de travailler que celle de l’employeur de payer le salaire sont suspendues, en application de l’art. 119 al. 1 CO. L’absence n’est donc pas fautive et ne peut donner lieu à aucune sanction, mais permet à l’employeur de ne pas verser le salaire pour le temps correspondant.

Absence due à des circonstances imputables à l’employeur

L’art. 324 CO régit le cas de la demeure de l’employeur, soit la situation où ce dernier refuse ou n’est pas en mesure d’accepter la prestation de travail de l’employé, que ce soit pour des raisons qui lui sont imputables ou totalement indépendantes de sa volonté, entrant dans la sphère de risque de son entreprise. L’employeur se trouve ainsi en demeure lorsqu’il n’accomplit pas les actes préparatoires indispensables à la fourniture du travail (par ex. transmission des instructions nécessaires, mise à disposition des outils de travail, obtention d’une autorisation de travail pour un employé étranger, mesures visant à remédier à des conditions de travail dangereuses pour la santé). L’employeur est également en demeure lorsque le travail n’est pas possible pour des raisons techniques (interruption de courant, panne de machine, pénurie de matières premières, destruction des locaux par suite d’incendie ou de tremblement de terre) ou économiques (baisse de commande, manque de travail). Le Tribunal fédéral a considéré que la fermeture d’une entreprise rendue obligatoire en raison des mesures collectives décrétées par les autorités lors de la pandémie de Covid-19 ne constituait pas un cas de demeure de l’employeur, cette situation dépassant le cadre du risque d’exploitation pouvant être raisonnablement supporté par l’employeur6. Lorsque ce dernier est en demeure et qu’il ne peut fournir un travail de remplacement, le travailleur est dispensé de travailler. Il aura néanmoins droit au paiement intégral de son salaire tant que dure la demeure et à la condition qu’il ait offert ses services. A noter toutefois que si l’employé réalise un gain durant la demeure (salaire auprès d’un autre employeur, indemnités chômage) ou qu’il renonce intentionnellement à un tel gain, le montant correspondant doit être déduit du salaire dû par l’employeur.

Absence résultant du non-paiement du salaire

Lorsque l’employeur est en retard dans le paiement d’un salaire, le travailleur est en droit de refuser de travailler aussi longtemps que son salaire n’est pas payé, en application de l’art. 82 CO. Seul le non-paiement d’un salaire « échu » justifie la suspension du travail. Il y a lieu de se référer à cet égard à la date de paiement prévue dans le contrat de travail (le 25 de chaque mois par exemple). A défaut, l’art. 323 al. 1 CO prévoit que le salaire est payable à la fin de chaque mois, soit le dernier jour du mois. Tant que le salaire échu n’est pas intégralement payé, le travailleur conserve le droit à son salaire pour toute la période durant laquelle il suspend son travail de manière légitime.

Absence fondée sur un congé usuel

Selon l’art. 329 al. 3 CO, l’employeur est tenu d’accorder au travailleur les heures et jours de congé usuels et, une fois le contrat dénoncé, le temps nécessaire pour chercher un autre emploi. Les congés dits « usuels » couvrent les événements exceptionnels personnels et familiaux ainsi que les obligations personnelles urgentes ne pouvant être réglées en dehors des heures de travail. L’on pense notamment au mariage, à une naissance, un décès, un déménagement ou à des démarches administratives ou juridiques. Certains de ces événements se recoupent avec les causes d’empêchement de travailler pour des raisons inhérentes à la personnalité au sens des art. 324a et 324b CO. Savoir si un événement constitue une telle cause d’empêchement de travailler ou un cas donnant droit à congé usuel dépendra des circonstances, notamment si l’employé est directement et personnellement touché ou seulement de manière indirecte et plus lointaine (l’on se trouvera en présence d’un empêchement de travailler si l’employé se marie ou si l’un de ses propres enfants décède, alors que l’on se trouvera plutôt en présence d’un congé usuel si le frère de l’employé se marie ou si son oncle décède) et de la possibilité ou non de déplacer l’absence en dehors des heures de travail (un déménagement rendu immédiatement nécessaire suite à un incendie constituera un empêchement de travailler, tandis qu’un déménagement planifié d’avance durant la semaine constituera davantage un cas justifiant un congé). Néanmoins, la doctrine est partagée sur ces distinctions, qui peuvent être ténues et sujettes à interprétation. S’agissant des employés à temps partiel, l’octroi de congés est plus restrictif car il est attendu d’eux de mettre à profit leur temps libre lorsque cela est possible. En outre, une fois que l’employé a été licencié ou qu’il a annoncé sa démission, il bénéficie du temps nécessaire pour effectuer les démarches visant à trouver un nouvel emploi, soit en principe une demi-journée par semaine (durée qui peut toutefois varier à la hausse ou à la baisse selon les circonstances). Ce congé hebdomadaire doit notamment permettre à l’employé de se présenter à des entretiens d’embauche ou auprès de l’Office régional de placement. Le droit à un tel congé durant le délai de résiliation tombe à partir du moment où l’employé a retrouvé un travail. La question du paiement du salaire durant un congé dit « usuel » n’est pas réglée expressément par la loi. La doctrine majoritaire est d’avis que si le contrat ne prévoit pas le contraire, les employés payés au mois ont droit au paiement de leur salaire durant les congés (à tout le moins ceux n’excédant pas quelques jours), alors que les employés payés à l’heure n’y ont pas droit7. Cela étant, et c’est ce qui diffère des événements couverts par les art. 324a et 324b CO, le contrat de travail peut tout à fait prévoir que le salaire afférent à ces heures et jours de congé ne sera pas versé, ce qui est tout de même rare en pratique.

Absence fondée sur un jour férié

La problématique des jours fériés n’est pas réglée dans le Code des obligations. Il y a alors lieu de se référer à l’art. 20a al. 1 LTr, qui prévoit que le jour de la fête nationale (soit le 1er août conformément à l’art. 110 al. 3 Cst. féd.) est assimilé au dimanche, ce qui implique une interdiction de travailler, sauf exceptions prévues par la loi. De même, cette disposition permet aux cantons d’assimiler au dimanche huit autres jours fériés par année, durant lesquels le travail est également interdit, sauf exceptions. Si un jour férié tombe sur un jour non travaillé par l’employé (un samedi, un dimanche ou un jour de la semaine durant lequel un employé à temps partiel ne travaille pas), l’employé ne peut pas bénéficier d’un congé de « rattrapage » ultérieurement. En revanche, si le jour férié tombe durant les vacances de l’employé, il ne compte pas comme jour de vacances et n’est pas déduit du solde. Si le droit à un congé durant les jours fériés est bien connu, la problématique de la rémunération l’est moins. A cet égard, il y a lieu de distinguer le jour de la fête nationale des autres jours fériés. En effet, l’art. 110 al. 3 Cst. féd. prévoit expressément que le 1er août est obligatoirement rémunéré, de sorte que l’employé sera payé pour ce jour de congé, peu importe la périodicité de paiement de son salaire (horaire, journalière, mensuelle, à la pièce, etc.) et sans exception contractuelle possible, mais pour autant qu’il tombe sur un jour qui aurait normalement été travaillé par l’employé8. S’agissant des autres jours fériés désignés par les cantons, il est admis, à l’instar des congés usuels, que les employés payés au mois perçoivent leur plein salaire, ce qui peut toutefois être modifié par contrat, tandis que les employés payés à l’heure n’ont en principe pas droit à leur salaire9.

Absence liée à la grossesse ou à l’allaitement

Les femmes enceintes et les mères qui allaitent bénéficient d’allégements spécifiques, pour des raisons évidentes de protection de leur intégrité physique et psychique et de celle de leur enfant né ou à naître. L’on rappelle en premier lieu que les incapacités de travail médicalement attestées et liées à la grossesse sont couvertes par l’art. 324a CO. En outre, l’art. 35a al. 2 LTr permet aux femmes enceintes de se dispenser d’aller au travail ou le quitter, après avoir averti l’employeur, sans être médicalement empêchées de travailler. Dans ce cas de figure, il n’existe toutefois pas de droit au salaire. Selon certains auteurs, la faculté offerte par l’art. 35a al. 2 LTr ne doit pas permettre à la femme enceinte de décider unilatéralement de ses jours et horaires de travail au gré de ses souhaits, une certaine planification d’entente avec l’employeur devant être de mise pour tenir compte des intérêts de ce dernier à pouvoir organiser le travail10. S’agissant des mères qui allaitent, elles ont le droit d’interrompre le travail pour allaiter ou tirer leur lait durant la première année de vie de l’enfant, à concurrence de 30 minutes au minimum pour une journée de travail ne dépassant pas quatre heures, 60 minutes au minimum pour une journée de travail ne dépassant pas sept heures et 90 minutes au minimum pour une journée de travail de plus de sept heures (art. 35a al. 2 LTr et 60 al. 2 OLT 1). La durée en question compte comme temps de travail rémunéré (art. 60 al. 2 OLT 1) et peut être prise en une seule fois ou de manière fractionnée selon les besoins. En principe, l’employeur est tenu de mettre à la disposition des travailleuses qui allaitent une pièce séparée et adaptée pour ce faire (art. 34 OLT 3). Selon le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), la travailleuse bénéficie des mêmes temps d’allaitement rémunérés indépendamment du fait qu’elle allaite son enfant dans l’entreprise ou qu’elle quitte son lieu de travail pour allaiter, étant précisé que dans ce dernier cas, une prolongation des temps d’allaitement rémunérés pour prendre en considération les trajets effectués n’est pas prévue11.

Absences injustifiées: quelles conséquences ? 

Les différentes situations exposées ci-avant (de manière non-exhaustive) légitiment l’absence du travailleur, que ce soit avec ou sans maintien du droit au salaire. Dans les cas où l’employé ne peut justifier son absence, diverses conséquences sont susceptibles d’entrer en ligne de compte. L’on pense en premier lieu au non-paiement du salaire, qui sera autorisé aussi longtemps que l’employé ne reprend pas le travail ou ne justifie pas son absence (art. 82 CO). Le travailleur pourrait également se voir infliger une amende (ou peine) conventionnelle (art. 160 CO), à la condition que celle-ci ait été expressément prévue et déterminée par le contrat de travail ou un règlement d’entreprise et qu’elle soit proportionnée. L’employé dont l’absence est injustifiée est susceptible de causer un dommage à l’employeur (manque à gagner, coûts de l’engagement d’un remplaçant en urgence), qu’il pourrait devoir réparer selon les critères posés par l’art. 321e CO. Une absence injustifiée peut par ailleurs donner lieu à un avertissement, un licenciement ordinaire, et, si elle se prolonge au-delà de plusieurs jours malgré une injonction claire de l’employeur de reprendre le travail, à un licenciement avec effet immédiat (art. 337 CO). Enfin, si le travailleur est absent durant plusieurs mois sans se manifester, ou durant une période plus courte en dépit d’une mise en demeure de l’employeur de reprendre le travail, l’on peut retenir, selon les circonstances, l’existence d’un abandon de poste (art. 337d CO).

1 Stéphanie Perrenoud, in Commentaire romand du Code des obligations I, 3e éd., Bâle 2021, N 27 ad art. 324a CO.

2 Cf. not. les art. 163, 272, 276 et 301 CC et 13 LPart.

3 Stéphanie Perrenoud, op. cit., N 14-16 ad art. 329h CO.

4 Exemple : un employé se trouve dans sa première année de service. En application de l’échelle bernoise, il dispose d’un crédit de salaire de trois semaines en cas d’empêchement de travailler, soit 15 jours ouvrables. Il doit s’absenter du travail pour s’occuper de son enfant malade durant 10 jours ouvrables. Il utilisera donc les 3 jours de congé prévus par les art. 329h CO et 36 al. 3 LTr ainsi que 7 jours de crédit de l’art. 324a CO, de sorte que son salaire lui sera entièrement payé.

5 Stéphanie Perrenoud, op. cit., N 40 ad art. 324a CO.

6 TF, arrêt 4A_53/2023 du 30 août 2023.

7 Patricia Dietschy-Martenet, in Commentaire romand du Code des obligations I, 3e éd., Bâle 2021, N 10 ad art. 329 CO ; Rémy Wyler/Boris Heinzer, Droit du travail, 4e éd., Berne 2019, p. 483-484.

8 Patricia Dietschy-Martenet, op. cit., N 6 ad art. 329 CO.

9 Patricia Dietschy-Martenet, op. cit., N 7 ad art. 329 CO ; Eric Cerottini, in Commentaire du contrat de travail, 2e éd., Berne 2022, N18 ad art. 329 CO.

10 Rémy Wyler/Boris Heinzer, op. cit., p. 283.

11 SECO (édit.), Commentaire de la loi sur le travail et des ordonnances 1 et 2, mars 2024, 160-2.

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