Le licenciement avec effet immédiat: Un couteau sans lame, ni manche

Le licenciement avec effet immédiat met sur-le-champ fin aux rapports de travail, de manière définitive. Les exigences en vue de prononcer un tel licenciement sont donc très élevées, ce dernier point étant souvent sous-estimé par les employeurs. Cet article vous donnera les outils nécessaires pour évaluer chaque cas et prononcer le licenciement avec effet immédiat en toute sécurité juridique.

03/12/2024 De: Gian Geel
Le licenciement avec effet immédiat

Justes motifs

Selon l’article 337 CO, les deux parties peuvent résilier le contrat de travail en tout temps et immédiatement pour de justes motifs. Est notamment considéré comme juste motif tout fait dont l’existence ne permet plus, selon les règles de la bonne foi, d’exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail. Un licenciement immédiat est donc généralement justifié lorsque des manquements particulièrement graves peuvent être reprochés à l’autre partie. Les actes pénalement répréhensibles commis sur le lieu de travail (par exemple le harcèlement sexuel, les voies de fait ou même les vols mineurs) en sont des exemples parfaits.

L’élément décisif pour la qualification de «juste motif» est que la relation de confiance entre l’employeur et l’employé soit réellement et profondément rompue, de sorte que la poursuite des rapports de travail jusqu’à expiration du délai de congé ordinaire ne puisse plus être raisonnablement exigée. Les exigences en matière de justes motifs augmentent notamment lorsque le délai de congé est court ou qu’un licenciement ordinaire a déjà eu lieu.

Exemples de justes motifs de résiliation par le travailleur 
• harcèlement sexuel ou voies de fait, avec ou sans intervention de l’employeur malgré une plainte 
• danger pour la santé (par ex. manquement aux règles de sécurité malgré une plainte adressée à l’employeur) 
• absence de garantie dans un délai raisonnable pour des créances en cas d’insolvabilité de l’employeur (art. 337a CO) 
• mobbing ou autre climat de travail inacceptable sans intervention de l’employeur malgré une plainte 
• incitation par l’employeur à perpétrer des actes pénalement répréhensibles ou contraires aux bonnes moeurs

Des manquements moins graves (p. ex. arriver en retard, ne pas suivre les instructions) doivent être répétés malgré un ou plusieurs avertissements pour justifier un licenciement immédiat. Un autre manquement aux obligations, qui n’est pas de même nature et qui n’a pas fait l’objet d’un avertissement préalable, ne suffira généralement pas.

Des manquements dans la vie privée sans influence sur le lieu de travail (par exemple des déclarations radicales dans les médias sociaux) ne justifient en général pas un licenciement immédiat. Les cas les plus graves et concernant des employés qui représentent une entreprise aux yeux du public demeurent réservés.

Selon la jurisprudence actuelle, la consommation d’alcool ou de drogues sans influence sur le poste de travail ou la prestation de travail ne justifie par exemple pas à elle seule un licenciement immédiat. En cas de présence répétée sur le lieu de travail sous l’influence de l’alcool ou de drogues, un licenciement immédiat devrait toutefois être admissible, du moins après un avertissement préalable.

Exemples de justes motifs de résiliation par l’employeur 
• manipulation de la saisie du temps de travail 
• délits tels que le harcèlement sexuel ou les voies de fait sur le lieu de travail 
• présence répétée sur le lieu de travail sous l’influence de l’alcool ou de drogues, malgré un avertissement 
• retards réguliers/absences injustifiées au travail malgré plusieurs avertissements

Fardeau de la preuve

Il incombe à la partie qui résilie le contrat de travail avec effet immédiat de prouver l’existence de justes motifs. Les manquements importants dans la relation de travail devraient toujours être documentés afin d’en conserver la preuve. Pour des raisons de preuve, les manquements qui ont simplement été observés devraient être consignés par écrit et si possible attestés par d’autres personnes.

Respect des délais et enquête interne

S’il existe un juste motif de résiliation immédiate des rapports de travail, une telle résiliation doit être prononcée sans délais, en règle générale dans un délai de réaction de deux à trois jours. En effet, si les motifs sont connus et qu’on laisse par exemple l’employé incriminé continuer de travailler malgré tout, l’impossibilité de poursuivre la collaboration devrait alors être réfutée. Une prolongation du délai de réaction à une semaine environ peut être admise lorsque, dans le cas d’une personne morale, la compétence décisionnelle revient à un organe composé de plusieurs membres, comme un conseil d’administration, et que la formation de la volonté est donc plus complexe ou lorsqu’une représentation des travailleurs doit être consultée.

Il est important de noter que le délai de réaction ne commence à courir qu’à partir du moment où les faits sont établis. Dans les cas où des clarifications supplémentaires sont nécessaires et effectuées (par exemple à la suite d’une plainte pour harcèlement sexuel), le délai de réaction ne commence donc à courir que lorsque l’établissement des faits est terminé. Selon la complexité et la nature des reproches, une enquête interne – éventuellement menée par un cabinet d’avocats indépendant et externe – peut s’imposer. L’enquête interne doit être menée de manière assez rapide. Dans l’intervalle, les employés accusés peuvent par exemple être libérés de leurs obligations professionnelles à titre de mesure immédiate.

Communication claire et univoque

Bien qu’il n’y ait pas de condition de forme et qu’un licenciement immédiat puisse être déduit d’un acte implicite (p. ex. jeter les clés d’accès aux locaux après avoir dit de manière tonitruante qu’on ne reviendra plus jamais), il est recommandé, pour des raisons de preuve, de faire une déclaration écrite claire. Une courte phrase comme par exemple: «Par la présente, nous résilions votre contrat de travail sans délai» suffit déjà.

Le licenciement avec effet immédiat: Conséquences

Le licenciement avec effet immédiat, qu’il soit justifié ou non, met dans tous les cas fin au contrat de travail sur-le-champ.

En cas de résiliation justifiée
Si le juste motif de la résiliation immédiate des rapports de travail réside dans un comportement contraire au contrat par l’une des parties contractantes, celle-ci doit, conformément à l’art. 337b CO, réparer la totalité du dommage causé, en tenant compte de toutes les exigences découlant des rapports de travail. Le travailleur qui résilie son contrat immédiatement et de manière justifiée a notamment droit à son salaire pour le délai de congé hypothétique. Dans les autres cas, le juge détermine librement les conséquences pécuniaires de la résiliation immédiate en tenant compte de toutes les circonstances.

En cas de licenciement injustifié par l’employeur 
Si l’employeur licencie le travailleur immédiatement et sans juste motif, celui-ci a droit à ce qu’il aurait gagné si les rapports de travail avaient pris fin en respectant le délai de congé ou à l’expiration de la durée déterminée du contrat (en particulier le salaire pour le délai de congé hypothétique). On impute sur ce montant ce que le travailleur a épargné par suite de la cessation du contrat de travail ainsi que le revenu qu’il a tiré d’un autre travail ou le revenu auquel il a intentionnellement renoncé (art. 337c, al. 2 CO).

Ne pas omettre le dommage liée à la prévoyance 
Même les avocats les plus expérimentés oublient souvent la prévoyance professionnelle lorsqu’ils demandent des dommagesintérêts en faveur des employés dont ils défendent les intérêts. En effet, la fin des rapports de travail entraîne la fin des rapports de prévoyance avec la caisse de pension, et il n’est donc plus nécessaire de verser de primes. Aucune retenue sur le salaire brut ni aucune cotisation supplémentaire de l’employeur ne sont donc versées à la caisse de pension. Le préjudice résultant de l’absence de cotisation de l’employeur peut donc être réclamé en tant que poste de préjudice (à proprement parler, il s’agirait plutôt du préjudice liée à la prévoyance résultant de la diminution de la rente/du versement du capital, mais pour des raisons de praticabilité, les cotisations de l’employeur semblent plus adaptées en pratique). Dans la pratique, on constate également souvent que les cotisations sont versées à la caisse de pension malgré l’absence de rapport de prévoyance. Celle-ci n’accepte que trop volontiers ces cotisations, tant il est déjà clair que les risques de décès et d’invalidité couverts par les cotisations de risque ne seront jamais réalisés.

En cas de résiliation injustifiée par le travailleur 
Si l’employé n’entre pas en service ou quitte son emploi sans justes motifs, l’employeur a droit, en vertu de l’art. 337d CO, à une indemnité correspondant à un quart du salaire pour un mois; il a en outre droit à la réparation d’autres dommages. Pour ce qui est du dommage supplémentaire, il faut en apporter la preuve complète, ce qui est généralement difficile dans la pratique.

Si l’employeur n’a subi aucun dommage ou un dommage inférieur à l’indemnité forfaitaire prévue par la loi, le tribunal peut la réduire selon son appréciation.

Si le droit à l’indemnité ne s’éteint pas par compensation, il doit être exercé dans les 30 jours à compter de la non-entrée en service ou de l’abandon immédiat de l’emploi par une action en justice (dépôt d’une demande de conciliation) ou par une poursuite, faute de quoi le droit est forclos et ne peut donc plus faire l’objet d’une action.

Cas particulier du licenciement sur soupçon

On parle de licenciement sur soupçon lorsqu’un licenciement est prononcé parce qu’un employé est fortement soupçonné d’avoir manqué à ses obligations sur son lieu de travail. Il n’est souvent pas possible de le prouver sans conteste au moment de la décision d’un éventuel licenciement immédiat, par exemple parce que l’employé nie le comportement fautif qui lui est reproché.

Un licenciement sur soupçon avec effet immédiat peut être justifié si l’employeur peut démontrer qu’au moment du prononcé du licenciement, il pouvait s’appuyer sur des soupçons qualifiés et objectivement fondés, qui indiquaient un délit grave ou une violation grave des obligations professionnelles de son employé (justifiant le licenciement avec effet immédiat).

Dans ce contexte, l’employeur est tenu de procéder sans délai à toutes les clarifications de faits que l’on peut raisonnablement attendre de lui et qui sont de nature à confirmer ou à lever ses soupçons. L’employé soupçonné devrait donc être systématiquement confronté aux reproches formulés à son encontre et entendu.

La particularité d’un licenciement immédiat sur soupçon est qu’il peut être qualifié de justifié dans certaines circonstances, même si l’employeur ne parvient pas à apporter la preuve du délit ou du manquement grave aux obligations de l’employé.

Le licenciement sur soupçon est justifié dans les cas où le simple soupçon portant sur l’employé est si grave qu’il porte atteinte à la relation de confiance entre les parties (pour autant qu’il soit raisonnablement clarifié et non réfuté) et que la poursuite des rapports de travail ne peut raisonnablement plus être exigée. Un simple soupçon peut également suffire à justifier un licenciement immédiat si l’employé contrecarre ou entrave l’enquête interne par des procédés déloyaux.

Conclusion

Les exigences en matière de licenciement immédiat sont élevées et les conséquences qui en découlent sont graves. Les employeurs feraient donc bien de consulter leurs conseillers juridiques avant de prononcer un licenciement avec effet immédiat. En effet, une fois prononcé, le licenciement avec effet immédiat ne peut plus être annulé.

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