Assistants virtuels: Amis ou ennemis dans le télétravail?
Sabine Junginger
Sabine Junginger est directrice du centre de compétences Design & Management à la Haute école de Lucerne - Design & Art. Elle est experte en Human-Centred Design et User-Experience.
Jens Meissner
Jens O. Meissner est chargé de cours à la Haute école de Lucerne - Économie. Le design organisationnel et la résilience organisationnelle constituent ses principaux axes de recherche.
Michelle Murri
Michelle Murri est collaboratrice scientifique à la Haute école de Lucerne - Économie. Elle s'intéresse aux questions juridiques et éthiques.
Particularités du télétravail
Le télétravail peut augmenter la productivité grâce à une meilleure concentration et à un travail dans un milieu paisible, et motiver positivement grâce à la flexibilité des activités en termes de temps et de lieu. La perception de l'indépendance et de l'autonomie est encouragée et le sentiment de mieux maîtriser le travail est renforcé. La réduction du formalisme et l'amélioration de la sphère privée réduisent le stress et entraînent une plus grande satisfaction et motivation.
L'isolement qu’implique le travail à domicile ou la mauvaise organisation des activités de la journée a des effets négatifs. Le manque d'échanges informels, la collaboration difficile et l'érosion de l'esprit d'équipe ont été dûment relevés. Il est également fait état d'un manque d'infrastructure et de coûts directs et indirects qui sont répercutés sur le travailleur. Une pression sociale s'exerce également lorsque le travail à domicile n'est pas suffisamment ancré dans la culture de l'entreprise et que les télétravailleurs doivent légitimer leur style de travail.
Les assistants virtuels sont des écosystèmes complets
Les assistants virtuels sont une technologie relativement nouvelle qui se répand énormément dans les maisons. Siri, Alexa et autres ont rapidement conquis les salons, les chambres et les cuisines grâce à des haut-parleurs et des écrans intelligents. Les assistants sont des agents logiciels basés sur le cloud qui peuvent interpréter la parole. Grâce à l'intelligence artificielle, ils peuvent répondre de la manière la plus judicieuse possible par le biais de voix synthétisées. Les environnements de travail dans le contexte du télétravail comprennent également des technologies intelligentes, par exemple pour la commande de la domotique et donc des conditions de travail.
Des effets multiples
Parmi les nombreux effets des assistants sur un ménage, tous ne sont pas pertinents pour le travail à domicile.2 On parlera par exemple du manque de clarté lié au choix de l'écosystème. Certes, il peut être important pour un utilisateur de savoir s'il doit s'occuper de l'écosystème d'Apple ou d'Android ou d'un autre. Cela étant, ces écosystèmes ont des conséquences similaires sur le télétravail. Et tous les systèmes déçoivent en ce qui concerne la «smartness» annoncée, qui ne peut être atteinte sans une réflexion approfondie. Ceci est important dans le contexte du travail, lorsque l'installation ou l'utilisation compliquée entrave la productivité et que l'assistant est considéré comme un jouet. On peut toutefois mettre en évidence les trois thèmes suivants:
1. Interdépendance - processus d'apprentissage mutuel
Il n'existe pas de manuel d'utilisation pour les assistants virtuels. L'algorithme de ces derniers et les utilisateurs testent ce qui fonctionne. Il en résulte un processus d'apprentissage mutuel, les personnes apprenant beaucoup plus vite que l'algorithme des assistants. Ce qui fait ses preuves est conservé. Il revient donc en général à l’homme de s'adapter à la technologie que l'inverse. Cela implique par exemple de passer d'une langue à une autre, d'utiliser des expressions similaires à des commandes et de se rapprocher physiquement de l'assistant virtuel afin d'être compris dans le bruit ambiant. Le passage du langage courant ou à un langage sophistiqué est souvent déconcertant.
2. Flux (sortant) de données peu clair
Selon le lieu d'utilisation de l'assistant virtuel, les membres du ménage ont des attentes différentes en matière de vie privée. L'éventail des sentiments éprouvés lors de l'utilisation va de «peu sûr» et «gênant» à «exigeant» et «acceptable». Au fur et à mesure de l'utilisation, l'assistant et ses possibilités deviennent familiers et utilisables. Mais l'utilisation réelle des données personnelles reste toujours floue: les utilisateurs sont d’ores déjà particulièrement conscients de la valeur des données et des questions de protection qui y sont liées. On ne fait pas confiance aux fournisseurs. Mais il existe aussi un accord de compromis pour le partage des données personnelles, dans la mesure où l'utilité perçue de l'assistant dépasse les coûts perçus. Il est toutefois difficile de chiffrer la valeur concrète des données divulguées. Leur utilisation ultérieure n'est pas non plus claire. On risque la perte de contrôle. Si un avantage concret n'est pas visible pour les personnes en télétravail, elles désactivent parfois définitivement ces assistants ou les désinstallent.
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3. Effets ambivalents sur la famille - et les partenaires de travail
Les conséquences de la technologie sur la vie familiale se traduisent par des modifications des modèles de comportement communs (p. ex. passage du langage familial au langage de commande, perte d'intimité ou de spontanéité, jeux pour détendre l'atmosphère), la discrimination de certains membres de la famille lors de l'utilisation des assistants virtuels (p. ex. les enfants) et des perturbations, par exemple lorsqu’un assistant interrompt soudainement une conversation en cours au téléphone ou en ligne. La perturbation n'est alors pas seulement locale, mais s'étend également à des personnes extérieures à la maison (par exemple lors d'une réunion virtuelle pendant le travail à domicile). Une division du travail inédite se développe: souvent, une personne assume la responsabilité de l'installation, du contrôle, de la maintenance et du développement de l'assistant, ainsi que de la gestion de son utilisation. Les parents sont souvent préoccupés par l'interaction entre les assistants virtuels et leurs enfants et jouent un rôle de protection. Si l'absence d'interaction entre l'homme et l'assistant provoque une dispute, celui-ci est en général rapidement désactivé et une discussion sur les règles d'utilisation communes s'ensuit.
Et la suite?
Les collaborateurs qui travaillent à domicile doivent mettre en place des assistants virtuels et développer leurs fonctionnalités. Cela peut prendre beaucoup de temps et les déceptions sont nombreuses. Les véritables «rôles d'assistance bureautique» des assistants virtuels n'en sont qu'à leurs débuts. Ils peuvent effectuer des tâches minimales, comme appeler certaines personnes, obtenir des informations sur le web, aménager l'environnement de travail ou gérer des rappels. Les solutions de smarthome sont plus développées, mais elles ne sont pas nécessaires pour la plupart des utilisateurs de bureau à domicile et n'offrent qu'une faible valeur ajoutée.
L'utilisation des assistants virtuels dans la pratique de l'entreprise pose de nouvelles questions en matière de protection des données et de gestion de la sphère privée des collaborateurs. Comme les utilisateurs paient quasiment avec leurs données, on ne sait pas ce qu'il advient de ces dernières une fois collectées. D’où une perte de contrôle. Pour la plupart des entreprises, ce risque est inacceptable, en particulier lorsque des données sensibles sont concernées. Et les offres visant à résoudre ce problème n'en sont qu'à leurs débuts.
L'utilisation d'assistants virtuels a des effets ambivalents sur la dynamique familiale et donc sur la conciliation de la vie professionnelle et de la vie privée. Les ressources en temps nécessaires à la formation des utilisateurs et à l'installation de la technologie ne sont contrebalancées que par de vagues avantages potentiels. De plus, les effets négatifs sur la famille sont contrebalancés par des fonctions étonnamment amusantes et utiles.
En fait, les VA contribuent à brouiller les frontières entre la vie privée et la vie professionnelle. Mais ils montrent aussi de nouvelles voies pour un nouveau travail et le rendent possible.
Les entreprises doivent faire preuve de pédagogie
C'est pourquoi l'utilisation d'assistants virtuels dans le contexte du travail à domicile présente actuellement plus de risques que d'opportunités. Les utilisateurs individuels sont souvent prêts à prendre en compte les risques liés à la protection des données. Mais les entreprises - implicitement ou non - évitent souvent les dangers de cette technologie. Il est important de noter que la réalité socio-technique qui émerge dans le bureau à domicile ne disparaîtra plus. Même si les utilisateurs désactivent ou désinstallent les assistants vocaux, le développement technique se poursuivra à un rythme soutenu. Il ne reste donc aux entreprises que la possibilité de sensibiliser leurs collaborateurs à la situation et de développer ensemble les potentiels d'utilité.
À propos du projet de recherche VA-PEPR
Le projet de recherche VA-PEPR examine, dans le contexte suisse, comment les assistants virtuels (VA) modifient les pratiques et les routines dans la vie quotidienne. Ce projet de recherche interdisciplinaire de la Haute école de Lucerne, de l'OST - Haute école spécialisée de Suisse orientale et de la Northumbria University est mené sous la direction de la HSLU Design & Kunst. Le projet est financé par le Fonds national suisse.
Notes:
1) Les réflexions présentées ici sont tirées du projet de recherche en cours VA-PEPR du Fonds national suisse, sous la direction de Sabine Junginger, Haute école de Lucerne.
2) Le projet de recherche VA-PEPR consiste à étudier comment les assistants virtuels interviennent dans le système socio-technique du ménage - et donc aussi du bureau à domicile. Dans ce contexte, des entretiens qualitatifs très complets et des analyses de comptes rendus ont été menées dans des ménages. Cette recherche a permis d'identifier 14 thèmes de base sur la manière dont les assistants virtuels interviennent dans le système socio-technique du foyer.
