Le manque de personnel qualifié: Maintien de la productivité et le rôle des RH

L’une des plus grandes questions de notre époque est de savoir comment maintenir la productivité au sein des entreprises malgré la pénurie croissante de personnel qualifié. Les réponses apportées à cette question peuvent souvent présenter des risques pour la santé mentale des personnes concernées. Comment réussir à rester en bonne santé, à éviter le surmenage tout en répondant aux exigences d’un monde dynamique?

02/09/2024 De: Sandra Berenbold
Le manque de personnel qualifié

L’économie de l’espace européen souffre. D’une part, on cherche à sortir de la récession économique et, d’autre part, les innovations nécessaires font défaut. La pénurie de main-d’oeuvre qualifiée se fait sentir dans toute son ampleur. Nous avons tout simplement trop peu de personnes pour trop de travail. La productivité dans les organisations devrait encore être augmentée si l’on escompte faire pencher la balance et répondre aux exigences futures. Mais comment y parvenir? Devons-nous tous travailler encore plus et fournir plus d’efforts pour compenser le manque de personnel qualifié? 

De nombreuses organisations voient justement peu d’alternatives à cette approche et ressentent en même temps les effets dévastateurs de ce phénomène sur la santé humaine. En janvier 2024, la caisse-maladie allemande «Techniker Krankenkasse» a publié le nombre de jours d’absence pour cause de maladie des personnes actives en 2023. Le niveau a fortement augmenté, avec 19,4 jours en 2023 contre 2,37 jours avant le coronavirus. Malheureusement, la hausse en question ne peut pas être imputée à la pandémie et aux autres maladies respiratoires. Ces dernières ne représentent qu’un quart de l’augmentation. Les maladies psychiques telles que la dépression et le burnout sont la deuxième cause la plus fréquente de l’augmentation des jours de maladie. L’association des entreprises pharmaceutiques allemandes affirme même que l’Allemagne est entrée en récession en raison d’un taux d’absentéisme élevé. Cela devrait nous faire réfléchir et nous inciter à trouver de nouveaux moyens d’augmenter la productivité sans pour autant mettre en danger la santé mentale de nos collaborateurs. 

Activer les potentiels – Augmenter la productivité 

De nombreuses organisations se concentrent actuellement de manière plutôt unilatérale sur la résolution de la pénurie de main-d’oeuvre qualifiée. L’accent est mis sur le recrutement de personnel qualifié en simplifiant les processus de recrutement et en augmentant l’attractivité de l’employeur. On oublie souvent qu’il existe également certains leviers d’action au niveau du personnel existant. Créons-nous un environnement dans lequel nos collaborateurs peuvent travailler avec une motivation à toute épreuve? Utilisons-nous pleinement le potentiel de nos collaborateurs? Investissons-nous suffisamment dans nos collaborateurs et notre organisation pour qu’ils puissent se développer? Faisonsnous assez pour que nos collaborateurs nous restent fidèles? Le cours des choses, dans le monde de l’entreprise, va malheureusement dans la direction opposée. Les mesures de qualification pour les collaborateurs sont supprimées, car ils n’ont pas le temps de participer aux formations requises. Les investissements dans le développement culturel sont supprimés pour des raisons d’économie. Les cadres et les équipes sont formés à l’efficacité: le temps consacré à la réflexion commune ou au dialogue est considéré comme improductif. C’est pourtant plus que jamais ce dont nous avons besoin. En effet, la nécessité d’une transformation systémique de nos organisations, afin que les collaborateurs puissent travailler de manière autonome et développer pleinement leur potentiel, a rarement été aussi importante en tant que moteur de productivité. 

Le rôle des RH 

Le rôle des RH est devenu encore plus exigeant au cours des dernières années: la transformation systémique de nos organisations pour répondre aux exigences futures et la pénurie de personnel qualifié en sont les principaux responsables. Bruch et al. (2019) dressent le profil d’exigences du responsable RH nouveau cru, qui correspond quasiment à un profil de gestionnaire d’entreprise pur et simple. On y trouve entre autres la pensée visionnaire, le goût de l’expérimentation, la compétence de direction ou la capacité à travailler en réseau. Dans de nombreuses organisations, les services du personnel ne sont pas encore suffisamment positionnés pour répondre à toutes ces exigences. Voici quatre leviers que les RH peuvent néanmoins utiliser pour renforcer la productivité en activant le potentiel de l’organisation. 

Redéfinir le sens de l’urgence 

Il est de plus en plus crucial de prendre les bonnes décisions pour l’avenir au niveau de la direction de l’organisation. Dans de nombreuses entreprises, la pensée à court ou moyen terme prédomine actuellement, et ce dans la perspective d’un ralentissement économique. Les économies sont réalisées rapidement aux mauvais endroits. Les investissements nécessaires pour l’organisation et les collaborateurs, eux, ne sont pas faits. Les RH se doivent de convaincre la direction, d’être une source d’inspiration importante lorsqu’il s’agit de montrer l’urgence de ces questions. Il est souvent utile, à cet égard, de présenter une perspective stratégique à long terme. De quelles conditions-cadres – pas seulement structurelles, mais aussi culturelles – avons-nous besoin pour être bien positionnés dans ce nouvel environnement? Comment devons-nous nous transformer afin d’être en mesure d’exploiter le potentiel de nos collaborateurs? Il peut également être utile de parler des coûts du «Not Changing» afin de se concentrer sur la valeur ajoutée du développement des organisations ou des collaborateurs. Mieux vaut éviter de penser uniquement en termes de coûts d’opportunité lorsque de telles ressources sont ainsi sollicitées. 

Revendiquer du temps pour diriger

Depuis des années déjà, diverses études scientifiques montrent que les cadres consacrent moins de 10% de leur temps à la direction – leur véritable tâche principale, soit dit en passant. Les cadres sont pourtant les premiers «révélateurs» de potentiel, que cela soit pour les collaborateurs ou pour leur organisation; ils devraient en effet veiller à ce que les ressources disponibles dans l’entreprise puissent être utilisées de manière productive. La direction a un effet indirect sur la productivité et n’est donc pas toujours appréciée de la même manière que lorsque les cadres s’impliquent activement dans les activités opérationnelles. Berenbold (2019) a pu montrer que la surcharge temporelle permanente et le contrôle externe des cadres entraînent une nette réduction de l’efficacité de la direction. Nous perdons ainsi un double potentiel d’augmentation de la productivité – du côté de la direction et du côté des collaborateurs aux ordres. Les RH seraient notamment bien inspirées de considérer, pour cette raison, les compétences des cadres comme étant de prime importance stratégique. Il est crucial que les cadres ne disposent pas seulement de suffisamment de temps nécessaire à leur propre développement, mais qu’ils soient également déchargés de toute activité opérationnelle superflue. 

Augmenter le sentiment de solidarité vis-à-vis de l’organisation («Ownership») 

Ce sont toutefois les collaborateurs qui décident s’ils activent pleinement leur potentiel et s’ils l’utilisent dans l’intérêt de l’organisation, au final. Cela ne peut pas être imposé, malgré la pression de la productivité. L’ownership est le sentiment de responsabilité ressenti dans le cadre de ce que nous entreprenons. Il apparaît lorsque nous nous sentons utiles, autonomes, que nous jouissons de la confiance de nos pairs et que nous nous sentons efficaces dans notre travail – autrement dit, celuici recoupe une multitude de paramètres du «New Work» (Dämon et al., 2023). Les RH peuvent soutenir consciemment l’émergence d’un sentiment d’ownership et par-là même le développement d’un tel potentiel: en tant que sparring-partner dans le cadre d’une communication active, dans le coaching des cadres et en examinant les mesures de développement des collaborateurs existantes pour voir si elles favorisent l’émergence d’un tel sentiment. Les mesures de développement de l’organisation ont également une influence sur l’émergence d’un sentiment d’ownership, par exemple par la mise en place active de structures et de mécanismes de décision octroyant davantage de liberté et de pouvoir d’autodétermination. 

Renforcer ses propres compétences de transformation et sa position

Les RH deviennent de plus en plus un facilitateur des processus de transformation et doivent donc être repositionnées en conséquence dans l’organisation. De nombreux services du personnel sont très conscients des nécessités stratégiques en matière de ressources humaines, mais ils manquent souvent de force d’impact. Les RH devraient se donner la possibilité de réfléchir à leur propre rôle stratégique. Sommesnous suffisamment bien connectés avec les décideurs? Faisons-nous réellement partie de la direction ou sommes-nous suffisamment écoutés? Sommes-nous pris au sérieux en tant que sparring-partners? Avons-nous suffisamment de ressources et de marge de manoeuvre? Comment pouvons-nous renforcer notre positionnement? Outre le positionnement, il est également décisif de savoir si le service du personnel est suffisamment compétent pour assumer son nouveau rôle. Il ne faut donc pas oublier de renforcer ses propres compétences de transformation, quels que soient les défis à relever. Pour ce faire, il convient notamment d’évaluer les futures compétences nécessaires dans le domaine des ressources humaines et les possibilités de les acquérir. 

En résumé 

Le développement de l’organisation et des collaborateurs n’est pas un projet optionnel ou «sympatoche» que l’on entreprend quand tout va bien, il est bel et bien décisif pour l’avenir et la survie des organisations. La productivité ne peut pas être augmentée par un surcroît de travail, mais uniquement par une réorientation durable d’organisations axée sur l’activation de ces potentiels. Cet exercice est actuellement difficile, étant donné que les investissements nécessaires au développement de l’organisation et des collaborateurs sont actuellement revus à la baisse. Pour les ressources humaines, il faut néanmoins s’accrocher. Elles ont désormais un rôle clé à jouer, celui de facilitateur.

Sources

Bruch H., Lohmann, T.R., Szlang, J., Heissenberg, G. (2019). PeopleManagement 2025: Zwischen Kulturund Technologieumbrüchen. www.pwc.de/de/humanresources/ pwcstudypeoplemanagement2025. pdf 

Berenbold, S. (2019). Entstehung eines wirksamen Führungsklimas: eine empirische Untersuchung der positiven und negativen Treiber eines wirksamen Führungsklimas unter besonderer Berücksichtigung der Beschleunigungsfalle. Universität St. Gallen: Dissertationen. 

Dämon, K., Eversloh, S., Sauberschwarz, L., Weiss, L. (2023). New Work Playbook. Franz Vahlen München.

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