Le travail à temps partiel: Aspects juridiques de modèles de temps de travail

Depuis un certain nombre d’années, le nombre d’employés à temps partiel ne cesse de croître en Suisse. Dans la pratique, ce sont souvent les femmes qui travaillent à temps partiel, les hommes rattrapant toutefois eux aussi petit à petit leur retard en la matière. Comme les postes de direction sont encore aujourd’hui limités au travail à temps partiel, le modèle du jobsharing («partage d’emploi ») offre une bonne alternative pour couvrir les besoins des employés ainsi que des entreprises. Cet article se propose de vous présenter une sélection de certains aspects pratiques relatifs au temps partiel et au jobsharing.

26/09/2024 De: Leena Kriegers-Tejura
Le travail à temps partiel

Le travail à temps partiel: Bases légales

Les travailleurs à temps partiel sont en principe des employés disposant des mêmes droits et soumis aux mêmes obligations que le personnel à temps plein. Le Code des obligations (CO) ne fait aucune différence entre les employés à temps partiel et les employés à temps plein. Dans la pratique, il s’avère toutefois que les travailleurs à temps partiel peuvent être désavantagés à divers égards, par exemple en ce qui concerne les chances de promotion ou la prévoyance vieillesse de l’entreprise.

Le travail à temps partiel peut revêtir diverses formes: travail régulier à temps partiel, travail rémunéré à l’heure, travail sur appel, emplois multiples ou jobsharing. Cet article se concentrera sur le travail à temps partiel régulier et le jobsharing.

Selon la législation suisse, il n’existe pas de droit au travail à temps partiel. Il s’agit d’une question de négociation et les entreprises sont libres de prévoir ou non des temps partiels. Il n’existe pas non plus de droit à réduire un temps plein, par exemple après une grossesse.

Travail régulier à temps partiel: quelques écueils rencontrés dans la pratique

a) Généralités

Selon l’Office fédéral de la statistique, on parle d’activité à temps partiel lorsque le taux d’occupation est inférieur à 90%, sur la base du temps de travail normal dans l’entreprise. Souvent, ce travail à temps partiel est payé au mois, mais il est également possible de le rémunérer à l’heure. Hormis la réduction du temps de travail, le travail régulier à temps partiel ne se distingue pas fondamentalement du travail à temps plein. Un travailleur à temps partiel a les mêmes droits et obligations, mais réduits au taux correspondant.

b) Vacances

L’art. 329a CO dit que les travailleurs ont droit à des vacances. A partir de l’âge de 20 ans, le droit aux vacances est d’au moins quatre semaines par an, ce qui correspond à 20 jours de vacances pour un travail à temps plein. Cette règle s’applique également aux employés à temps partiel. Une personne travaillant à 50% a un droit aux vacances réduit en fonction de son taux d’occupation, c’est-à-dire un droit à dix jours de vacances. 

c) Salaire de vacances 

Le travail à temps partiel donne aux employés non seulement droit à des vacances, mais également à des jours de congé payés, tout comme les employés à temps plein. Si quelqu’un travaille à 50%, il peut prendre quatre semaines de vacances et, pendant cette période, son salaire doit être maintenu en bonne et due forme. Dans la pratique, le salaire des vacances des employés à temps partiel, surtout ceux qui sont payés à l’heure, est souvent déjà compensé dans le salaire. En d’autres termes, les employeurs versent déjà 8,33% du salaire des employés qui ont droit à quatre semaines de vacances par an; ces employés ne reçoivent donc pas de salaire de vacances pendant les vacances. Cette pratique est très répandue, mais elle comporte toutefois certains risques. Il faut en effet savoir que, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le versement du salaire de vacances n’est en principe autorisé que si l’on est en présence d’un travail à temps partiel clairement irrégulier. Les tribunaux ne donnent pas de réponse univoque à la question de savoir ce qui constitue un travail irrégulier. Il n’est donc pas possible de donner une réponse générale et il est de mise de faire preuve d’un peu de discernement. Si une comptable travaille 15 heures par semaine, il s’agit certes d’un temps partiel, mais pas d’un travail irrégulier. C’est pourquoi, en théorie et sur la base de la jurisprudence actuelle, il ne serait en ce cas pas permis de verser l’indemnité de vacances en question. Ce type de situation est fréquent en pratique et n’est pas sans poser de problèmes.

Le problème pourrait être résolu comme suit: la part de vacances est calculée et indiquée, mais n’est pas versée. La part de vacances est alors versée lorsque l’employé prend effectivement ses vacances. Les employeurs arguent souvent du fait qu’un tel procédé n’est pas pratique et coûteux. C’est certainement vrai et il comporte également certains risques dont il faut être conscient.

En cas de non-respect de cette interdiction absolue de payer les vacances en espèces, il existe également un risque de double paiement, c’est-à-dire que l’employeur doive payer à nouveau les vacances déjà payées à la fin du contrat de travail, si l’employé le demande en justice. Il est en outre obligatoire que le supplément de salaire correspondant aux vacances soit indiqué séparément dans le contrat de travail et sur chaque fiche de salaire. Il n’est pas permis de mentionner que le salaire des vacances est inclus. Si une personne travaille régulièrement (indépendamment du fait qu’elle soit rémunérée au mois ou à l’heure), le paiement du salaire de vacances n’est pas conforme au droit, selon la pratique.

d) Jours fériés

Les travailleurs rémunérés au mois ont droit à une indemnisation lorsqu’un jour férié tombe pendant les heures de travail habituelles: si la personne travaille habituellement le lundi, le lundi de Pentecôte est un jour férié à indemniser, c’est-à-dire que les heures non travaillées ne doivent pas être récupérées. S’il existe des jours d’intervention fixes pour les travailleurs à temps partiel, les jours fériés tombant sur un jour normalement chômé ne sont pas indemnisés. Les jours fériés tombant sur des jours de travail habituels sont indemnisés à hauteur du temps de travail à effectuer ce jour de la semaine. Si un employé travaille de manière irrégulière, le salaire pour le jour férié doit être versé proportionnellement au taux d’occupation ou une compensation en temps correspondante doit être accordée.

Pour les collaborateurs rémunérés à l’heure, ce droit n’existe toutefois que si celui-ci a été convenu par contrat, raison pour laquelle le contrat de travail individuel devrait d’ailleurs subsidiairement mentionner les jours fériés en vigueur dans l’entreprise.

e) Rendez-vous médicaux 

Les travailleurs à temps partiel sont souvent invités à prendre des rendez-vous médicaux en dehors de leur temps de travail. Une telle requête est admissible. Les travailleurs entretiennent un devoir de fidélité et de diligence envers leur employeur. On peut en déduire que les travailleurs doivent limiter leurs absences dans la mesure du possible. Si, dans un cas particulier, le rendez-vous ne peut pas être fixé autrement, l’employeur doit accepter la chose et le travailleur peut prendre congé pour se rendre chez le médecin. La question de savoir si le temps consacré au rendez-vous doit être payé est une autre question. Les employés à temps partiel payés au mois devraient continuer à recevoir leur salaire régulièrement; ceux qui sont payés à l’heure ne sont généralement pas indemnisés.

f) Maintien du salaire en cas d’incapacité de travail

Les employés à temps partiel ont également droit au maintien de leur salaire en cas d’incapacité de travail. Du moment que les rapports de travail ont duré plus de trois mois, les collaborateurs à temps partiel sont également tenus de continuer à percevoir leur salaire conformément à l’art. 324a, al. 1 CO. Le fait qu’ils soient payés à l’heure ou au mois ne joue ici aucun rôle. Si une entreprise dispose d’une assurance d’indemnités journalières en cas de maladie, les conditions du maintien du paiement du salaire découlent des conditions d’assurance qui s’y rapportent.

g) Plusieurs relations de travail à temps partiel coexistent 

Les travailleurs à temps partiel ont souvent plusieurs employeurs. Les travailleurs doivent toutefois veiller à ne pas concurrencer leurs employeurs respectifs. Selon l’article 321a CO, tout travailleur a un devoir de diligence et de fidélité. Ces devoirs doivent être respectés même si le travailleur en question compte plusieurs employeurs. Si, par exemple, un ingénieur souhaite travailler à 50% dans deux bureaux concurrents situés dans la même zone économique pour des clients de même aloi, l’employé fait forcément concurrence à l’un de ses employeurs. Si le deuxième emploi qu’il occupe est dans un magasin de fleurs, il se tient à son devoir de fidélité et son second emploi ne pose aucun problème. Il est recommandé d’informer les employeurs de ses différents emplois et de faire preuve de transparence à cet égard.

Jobsharing1

a) Définitions

Dans la pratique, la notion de job sharing est structurée comme dans cette image.

Le terme de «jobsharing» fait référence à un poste à temps plein partagé par deux ou plusieurs travailleurs, comprenant des tâches interdépendantes et des responsabilités communes. Le terme «topsharing», lui, désigne le partage d’emploi à des postes à haute responsabilité, y compris la gestion des collaborateurs.

Le «jobsplitting» se réfère à des postes de travail pouvant être divisés en mi-temps, les travailleurs se répartissant le travail en fonction de leurs intérêts personnels. Contrairement au «jobpairing», les travailleurs sont individuellement responsables de la partie de la tâche qui leur incombe. Il s’agit ici de postes à temps partiel indépendants; plusieurs contrats à temps partiel existent indépendamment les uns des autres.

Le «jobpairing» désigne la planification et l’exécution communes du travail. Il suppose une étroite collaboration entre les travailleurs, qui sont interchangeables. Le devoir de représentation de l’un envers l’autre est essentiel. 

Dans le cas du jobsharing hybride, l’employeur a des contrats de travail à temps partiel séparés avec deux ou plusieurs travailleurs. Dans la pratique, les dossiers sont répartis de manière informelle, certaines tâches étant entièrement interchangeables, les travailleurs en assumant conjointement la responsabilité. 

Le jobsharing pur, quant à lui, se caractérise par le fait qu’un employeur est lié à deux ou plusieurs travailleurs par un seul contrat de travail. Les travailleurs s’associent en une équipe (généralement une société simple) et les travailleurs sont conjointement responsables du respect du contrat. Dans ce cas, les travailleurs sont totalement interchangeables et chacun est compétent et responsable pour toutes les tâches dévolues.

b) Bases légales

Il n’existe pas de réglementation légale spécifique en Suisse pour le jobsharing. Les règles du CO sont donc applicables. Les dispositions contractuelles relatives au jobsharing sont notamment déterminantes en pareille matière.

c) Obligation de remplacement

Il est judicieux de régler précisément la répartition interne et l’organisation du travail. La question de savoir si le jobsharing implique toujours une obligation de remplacement est controversée dans la doctrine, raison pour laquelle il est recommandé de la prévoir par contrat. Il convient donc de régler dans quelle mesure un travailleur doit remplacer l’autre (p. ex. en cas de vacances, de maladie, de service militaire, etc.).

d) Vacances

En cas de jobsharing, l’idée est souvent qu’un travailleur remplace l’autre pendant les vacances. Ce remplacement devrait être réglé dans le contrat de travail. Le contrat devrait notamment stipuler que les deux travailleurs ne peuvent pas partir en vacances en même temps. Même en cas de jobsharing, chaque employé a droit à quatre semaines de vacances au minimum.

e) Départ d’un partenaire de jobsharing

La question de savoir si un contrat de jobsharing peut être résilié individuellement ou seulement conjointement doit être réglée par contrat. En l’absence de dispositions légales spécifiques, ces questions devraient, dans la mesure du possible, être abordées dans le contrat concerné. Sur la base de certains principes de base, on peut retenir ce qui suit: en principe, en cas de jobsplitting, chacun peut être licencié individuellement; en cas de jobsharing pur, les travailleurs ne peuvent être licenciés que conjointement. Dans le cas du jobsharing hybride, la doctrine n’est pas unanime sur la question de savoir si des résiliations individuelles ou seulement communes sont possibles. Ce dernier élément plaide également en faveur de la réglementation contractuelle de cette question.

Si l’un des jobsharers résilie son contrat de travail, la question du sort de la personne partageant l’emploi se pose. Si l’employeur ne peut/veut pas poursuivre la relation de travail avec le jobsharer restant, il est en droit de le licencier de manière ordinaire. Il est également possible de régler par contrat ce qui se passera dans de tels cas.

NOTE DE BAS DE PAGE
1 Isabelle Wildhaber; Thomas Geiser, Arbeitsrechtliche Fallstricke beim Jobsharing, ARV 2016, p. 1–9.

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