Télétravail à l’étranger: Conséquences pour les assurances sociales et la fiscalité

Au plus tard depuis la pandémie du coronavirus, le télétravail est devenu une thématique importante en tant que nouvelle forme de travail. Il existe de nombreux aspects à prendre en compte comme la protection des données ou l’indemnisation des collaborateurs et l’organisation d’exploitation en tant que telle. Cet article précise les questions portant sur le télétravail à l’étranger, diverses pierres d’achoppement devant être prises en considération en matière fiscale et de technique d’assurances sociales.

21/06/2022 De: Cyrill Habegger
Télétravail à l’étranger

Les concepts de «Home Office», «remote work» et assimilés existent depuis longtemps. Mais de nombreuses entreprises préfèrent que leurs collaborateurs se retrouvent au même lieu de travail et y accomplissent leurs tâches. Lorsque le Conseil fédéral a décrété, pendant la pandémie, qu’il fallait travailler en Home Office et que le télétravail a même été rendu obligatoire par la suite, les entreprises et leur département RH ont dû se confronter de nouveau à cette thématique.

Dans l’intervalle, les places de travail à la maison sont bien établies, l’infrastructure informatique et les autres fonctionnent et les entreprises comme les collaborateurs ont constaté que le télétravail présentait certains avantages. Il n’est donc pas étonnant que de nombreuses entreprises veulent continue à proposer le télétravail même si la situation permet un retour au bureau. Pour les départements RH, cela signifie de clarifier différents points et quelques aspects supplémentaires au cas où les collaborateurs accomplissent leur travail depuis un bureau à domicile situé à l’étranger.

Les grandes pierres d’achoppement en cas de télétravail à l’étranger

Les principales difficultés qui attendent ceux qui permettent aux collaborateurs de travailler à domicile depuis l’étranger concernent les domaines des impôts et des assurances sociales. Si on arrive à y faire face en termes de logistique et contractuels, il est difficile de garantir que les impôts et les assurances sociales seront décomptés correctement. Où est le problème?

Assurances sociales

Dans le domaine des assurances sociales, la situation est réglementée «simplement», en tout cas si l’activité se situe en télétravail dans l’UE/AELE: si l’on travaille «principalement», c’est-à-dire 25% et plus dans un État de résidence, quel que soit le siège de l’entreprise. Voir également la table relative aux règles d’assujettissement selon l’ordonnance UE 883/2004.

Autrement dit, si une collaboratrice qui travaille à 100% passe en moyenne 2 jours par semaine en télétravail en France et 3 jours au siège de l’employeur en Suisse, il faut décompter les assurances sociales en France dans son État de domicile. En dehors des frais administratifs, cela est relativement coûteux du fait des cotisations élevées prélevées par le système français d’assurances sociales. Il en va de manière analogue pour les autres États de l’UE/AELE: si les collaborateurs y effectuent leurs travaux, le risque, en tant qu’employeur suisse, est de devoir y décompter les assurances sociales1.

«Grâce» au COVID, ces règles d’assujettissement sont actuellement renégociées par le biais de conventions inter-étatiques. On simule ici une situation qui serait considérée comme normale en l’absence de COVID, autrement dit, comme si notre frontalière française devait se rendre quotidiennement à son bureau à Bâle tout en effectuant 2 jours sur 5 en télétravail en France et en partant du principe que, même si une activité essentielle est effectuée dans l’État de résidence sans y être assujettie en termes d’assurances sociales, elle resterait soumise au système suisse. Du fait que le télétravail s’est établi plus fortement depuis quelques années, les membres de la commission administrative de l’UE chargés de la coordination des systèmes nationaux de sécurité sociale se sont mis d’accord, en juin 2022, sur une application flexible jusqu’au 31 décembre 2022. Simultanément, il est prévu de concevoir les règles d’assujettissement au 1er janvier 2023 de telle sorte qu’une certaine part d’activité en télétravail soit possible dans l’État de résidence sans que cela change la compétence dans le domaine de sécurité sociale nationale.2

Quiconque planifie autoriser le télétravail sur une plus longue période devrait fixer de manière anticipée les règles applicables. Le fait de recevoir tout à coup une lettre des assurances sociales françaises (URSSAF) indiquant qu’on ne décompte pas correctement en France plusieurs collaborateurs n’est pas forcément la chose que l’on souhaite voir se produire.

Même par rapport aux pays en dehors de l’UE/AELE, ce point doit rester présent à l’esprit. Typiquement, des assurances sociales sont dues dans l’État de l’activité, ce qui fait que l’employeur suisse doit décompter, le cas échéant, dans les États dans lesquels ses collaborateurs travaillent en Home Office ou même depuis leur résidence secondaire.

Impôts

En dehors des assurances sociales, les impôts constituent également une grande thématique en matière de travail à l’étranger. Pour simplifier, la règle de base est que si l’on habite à l’étranger, mais que l’on travaille pour un employeur suisse, on doit verser ici l’impôt anticipé. Si et quand l’impôt est aussi dû ans un autre État n’est généralement pas le problème de l’employeur suisse. Il existe certaines exceptions sur la base de dispositions spécifiques concernant les frontaliers.

Mais, si de telles personnes ne viennent plus travailler en Suisse resp. seulement dans une étendue réduite, le droit d’imposition se déplace de plus en plus vers l’État de résidence. La Suisse ne dispose alors plus, par principe, que d’un droit d’imposition sur les jours qui sont encore travaillés en Suisse. Ce qui peut déboucher sur une multiple charge pour les collaborateurs. En outre, il existe de nombreux États qui prévoient que les employeurs étrangers doivent retenir l’impôt à la source s’ils occupent du personnel qui est résident dans cet État et donc qui y est imposable. Cela peut signifier, pour un employeur suisse, de devoir décompter des impôts en Suisse et à l’étranger pour ces collaborateurs et requérir encore un représentant à l’étranger.

Rien que ces deux aspects ne sont pas faciles à manipuler et comportent des risques pour l’employeur. On peut imaginer qu’un employé soit accidenté pendant son télétravail à l’étranger dans une mesure telle que des prestations d’invalidité lui sont dues. Si l’AVS constate que ce collaborateur ne travaillait qu’à l’étranger et donc qu’il ne relevait pas du système suisse d’assurances sociales, elle pourrait refuser ses prestations. Simultanément, une assurance sociale étrangère peut refuser d’assurer un collaborateur accidenté (sous forme rétroactive). Dans le pire des cas, c’est l’employeur qui devra financer lui-même des prestations élevées étant donné que cette assurance est prévue dans le contrat de travail.

Outre les impôts et les assurances sociales, il existe encore bien d’autres aspects à prendre en compte lorsque l’on veut autoriser les collaborateurs à télétravailler depuis l’étranger.

Thème

Réflexions

Impôts/assurances sociales

Il faut s’assurer de la retenue correcte des impôts dans l’État correspondant. Vous trouverez plus de détails à ce sujet dans le texte. En outre, il faut prendre compte du risque de filiale d’exploitation, c’est-à-dire que l’entreprise peut être rendue responsable d’impôts sur le bénéfice à l’étranger

Droit du travail

Si les collaborateurs travaillent principalement ou presque exclusivement en télétravail, il faut respecter le droit local du travail et cela créera un for au lieu usuel de travail des collaborateurs

Convention collective de travail (CCT)

S’il existe une CCT ou même une CCT à force obligatoire, il faut vérifier si toutes les exigences peuvent être satisfaites lorsque les collaborateurs travaillent principalement à l’étranger en télétravail. Une pierre d’achoppement est justement ici l’assurance indemnités journalières en cas de maladie

Organisation du travail, durée du travail

«Surveillance» des collaborateurs

D’une manière générale, le thème de la saisie du temps de travail et des heures supplémentaires/insuffisance d’horaire en télétravail doit être gardé à l’esprit. Si les distances sont plus grandes, l’aspect du décalage horaire peut s’y ajouter sous forme de complication

Protection des données

Un thème éminemment important: si les collaborateurs basés à l’étranger accèdent à des données de l’entreprise et des clients, le thème de la protection des données doit se voir accorder une attention toute spécifique. Même du côté de l’informatique, il est important de réfléchir sur ses réseaux domestiques ou sur une imprimante (WLAN) privée. Ce sont ici typiquement des maillons faibles que les Hackers peuvent utiliser pour lancer leurs attaques

Assurances

L’assurance accidents professionnels, l’assurance accidents non-professionnels, l’assurance indemnités journalières en cas de maladie et les autres assurances doivent aussi être prises en compte en cas de télétravail (étranger). Le cas échéant, des adaptations sont nécessaires. La situation est encore plus complexe lorsque les collaborateurs qui travaillent depuis l’étranger ne sont plus soumis au système suisse d’assurances sociales, car d’autres assurances doivent être souscrites. Même la caisse d’assurance maladie ne peut être ignorée ici

Règlement de télétravail/contrat de travail (supplément au contrat)

Il est recommandé de créer des règles claires sur qui, où, dans quelle mesure peut (ou pas) être occupé en télétravail. Les points suivants peuvent par exemple être régis dans un tel règlement

Droit ou obligation de télétravailler

Il existe des différences, dans de nombreux domaines, quant à savoir si l’activité en Home Office est enjointe ou si cela découle de la demande du collaborateur. Les règles correspondantes doivent être respectées

Indemnisation, frais

Le fait que et dans quelle étendue les collaborateurs en Home Office (doivent être) sont indemnisés sous forme complémentaire et si l’indemnisation est considérée comme un revenu imposable ou comme un remboursement de frais est déjà délicat à trancher en cas de télétravail en Suisse. Une mention dans le règlement des frais pour le télétravail ou en cas de libération est recommandée. En ce qui concerne les collaborateurs en télétravail à l’étranger, les règles locales doivent en outre y être ajoutées

 

Notes de bas de page

1) Il faut noter ici que l’ordonnance de l’UE 883/2004 n’est valable que pour les ressortissants de l’UE et les Suisses, les règles pour les États tiers pouvant diverger. Il en va de même en ce qui concerne les conventions entre les États de l’AELE

2) Des informations à jour ainsi que la situation jusqu’au 30 juin 2022 et celle à partir du 1er juillet 2022 sont postées sur le site Internet de l’OFSP: Coronavirus: implications sur la sécurité sociale dans un contexte international (https://www.bsv.admin.ch/bsv/fr/home/assurances-sociales/int/donnees-de-base-et-conventions/int-corona.html).

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