Droit pénal et TVA: Prévenir la fraude fiscale par une déclaration correcte

Contrairement à nos pays voisins, les contrôles TVA, en Suisse, ne commencent généralement pas, et c’est heureux, par la confiscation des documents comptables (ordinateurs compris) et ne se terminent pas par une procédure pénale (souvent des amendes salées).

04/07/2023 De: Adrian Wyss, German Boschung
Droit pénal et TVA

Le droit pénal et la TVA en Suisse

Cela étant, le droit pénal et TVA (art. 96 à 106 LTVA) a gagné en autonomie avec la révision de la loi en 20101: ce droit est certes toujours intégré dans le reste du droit pénal, notamment le code pénal (CP) et la loi fédérale sur le droit pénal administratif (DPA), et son application n'en est pas forcément facilitée. Ses règles sont toutefois plus étendues et plus détaillées.

Remarques préliminaires

La bonne nouvelle tout d’abord: même en cas de comportement fautif, il n'est pas toujours nécessaire d'engager une procédure pénale. En effet, si la culpabilité et les conséquences de l'infraction sont faibles, l'autorité compétente peut y renoncer2. L'Administration fédérale des contributions (AFC) est compétente en la matière et l'Administration fédérale des douanes (AFD) l’est de son côté pour les questions relatives à l'impôt sur les importations3.

La possibilité pour l'autorité de renoncer à sanctionner des personnes physiques et de prononcer d'éventuelles amendes à l'encontre de l'entreprise facilite en outre la tâche des personnes concernées. Cette disposition s'applique lorsque les mesures d'enquête visant à établir la faute personnelle et la participation de la personne concernée seraient disproportionnées par rapport à la peine infligée4. Il s'agit donc d'une disposition censée rendre économiques les enquêtes menées dans le cadre de procédures pénales5.

L'AFC n'a toutefois pas appliqué cette disposition de manière stricte dans la pratique. Cela a permis d'éviter de longues procédures avec interrogatoires des personnes concernées, mais aussi l'effet négatif que ne manquerait pas d’induire une éventuelle inscription au casier judiciaire des entrepreneurs, de la direction de l'entreprise ou d'autres employés qui auraient été impliqués.

Cela dit, la faute des personnes impliquées est d'une importance capitale. Celle-ci détermine en effet la peine encourue, et ce, en se référant explicitement au CP6 et contrairement à l'ancienne LTVA. Cette dernière avait fixé le résultat de l'infraction et donc le montant de la TVA soustraite comme base pour la fixation de la peine.

Il est évident que, dans le contexte de l'économie de l'enquête et de l'obligation d'engager une procédure pénale ou de déterminer la faute, l'autorité fixe certaines règles empiriques pour l'ouverture effective d'une procédure pénale et que cela est judicieux. Cela renforce la sécurité juridique ainsi que l'égalité de traitement.

L'AFC engageait autrefois une procédure pénale à partir d'un montant fixe de 10 000 francs7 de TVA soustraite, indépendamment du montant des chiffres d'affaires et de l'impôt préalable. Ce montant se rapporte à l'ensemble de la période de contrôle, à savoir cinq ans en général. On peut douter que cette procédure soit juste et équitable, comme l’exige effectivement l'art. 104 LTVA. La règle dite des 3% (les compensations de plus de 3% du chiffre d'affaires brut entraînaient l'ouverture d'une procédure pénale) aurait été, à notre avis, plus appropriée. On aurait également pu imaginer un pourcentage de la taxe nette initialement déclarée pour la période en question.

Explications détaillées

En principe, tout type de réduction de la créance fiscale (charge nette de paiement de la période fiscale) est passible de sanctions pénales si elle a été commise intentionnellement ou par négligence et si, dans la pratique, elle a entraîné un «dommage» à la charge de l'AFC de plus de 10'000 francs pour la période de contrôle correspondante8.

Une telle soustraction d'impôt peut être commise en ne déclarant pas correctement les éléments fiscaux suivants:

  • recettes imposables trop basses
  • recettes trop élevées provenant de prestations exonérées de la TVA
  • pas de dépenses ou des dépenses trop faibles soumises à l'impôt sur les acquisitions (dans la pratique de contrôle, on renonce à une compensation si l'entreprise concernée dispose de la déduction intégrale de l'impôt préalable)
  • des corrections ou des réductions de l'impôt préalable trop faibles
  • des déductions d'impôt préalable trop élevées.

Ce dernier point s'applique également aux remboursements effectués à des entreprises étrangères non assujetties à la TVA en Suisse dans le cadre de la procédure de remboursement annuelle. En outre, l'obtention d'une remise d'impôt injustifiée est également punie de la même peine, à savoir une amende pouvant aller jusqu'à 400 000 CHF. Cette amende peut être doublée si, dans le cadre d'une telle fraude à la TVA, celle-ci est répercutée sur les clients sous une forme qui donne droit à la déduction de l'impôt préalable9. La même peine, à savoir une amende pouvant aller jusqu'à 800 000 CHF, s'applique à la soustraction d'impôt en rapport avec la TVA à l'importation ou à la fausse déclaration intentionnelle d'informations demandées lors de contrôles TVA ou d'une autre procédure administrative10. Si des circonstances aggravantes s'ajoutent à une soustraction d'impôt (dite soustraction d'impôt qualifiée), la peine est augmentée de moitié. Il s'agit ici de la soustraction de TVA par métier (par ex. opérations de carrousel) ou du recrutement de personnes pour une infraction au droit de la TVA11. Est puni plus légèrement, à savoir d'une amende pouvant aller jusqu'à 200 000 CHF, celui qui déclare correctement des éléments fiscaux mentionnés, mais qui les qualifie de manière erronée sur le plan fiscal et qui, intentionnellement, n'applique pas correctement des dispositions légales claires, des instructions des autorités à ce sujet ou des déterminations de la pratique publiées et qui n'en informe pas préalablement les autorités par écrit. En cas de négligence, l'amende peut atteindre 20 000 CHF. Les obligations découlant du principe dit d'autotaxation de la TVA apparaissent ici clairement et sans équivoque. L'assujetti doit faire tout ce qui est nécessaire pour déterminer correctement la TVA. S'il ne le fait pas, il risque fort, théoriquement, d’encourir une procédure pénale.

Les assujettis ont tout de même la possibilité de corriger les éventuelles déclarations de TVA incorrectes d'une période de taxaction (= année civile) dans le cadre des travaux de finalisation (décompte de fin d'année) afin d'éviter une soustraction d'impôt. Ce décompte doit être remis au plus tard 60 jours après l'expiration des 180 jours suivant la fin de la période fiscale12. Une fois ce délai écoulé, le contribuable ne peut échapper à une poursuite pénale qu'en déposant une dénonciation spontanée, s'il aide raisonnablement l'autorité à fixer l'impôt et s'il s'efforce sérieusement de payer le montant dû ou d'en obtenir le remboursement13. Dans ce contexte, la remise d'un décompte rectificatif est considérée dans la pratique comme une dénonciation spontanée. Contrairement au droit des impôts directs, le nombre de dénonciations spontanées non punissables n'est pas limité. Cela sert à encourager l'honnêteté fiscale et à tenir compte de la complexité du droit de la TVA dans le cadre des exigences très élevées en matière d'autodéclaration de la TVA par les entreprises assujetties14.

Pour ce qui est de la soustraction d'impôt, la seule tentative est également punissable15. Cela ne s'applique toutefois pas au recel d'impôt (cf. art. 99 LTVA) ou à la violation des obligations de procédure (cf. art. 98 LTVA). Tous deux sont des délits dits d'activité. Cela signifie qu'ils ne sont soumis à la peine que s'ils ont été effectivement et entièrement commis. Une tentative au sens des art. 22 s. CP n'est pas nécessaire.

Une personne enfreint des obligations de procédure lorsqu'elle commet l'un des actes suivants:

  • omettre de déposer une demande
  • omission de décompte malgré un rappel
  • violation de l'obligation de déclaration périodique
  • omission de fournir des garanties adéquates
  • violation de l'obligation de tenir, de conserver ou de présenter les livres de comptes
  • omission de l'obligation de renseigner malgré un rappel
  • indication d'une fausse taxe sur la facture ou indication non autorisée d'un numéro de registre
  • compliquer, entraver ou rendre impossible un contrôle malgré un rappel16.

Jusqu'à présent, les autorités ont généralement appliqué cette disposition avec circonspection et uniquement dans des cas graves bien précis. Nous estimons qu'il faut s'en féliciter, car dans la pratique, le principe de l'autotaxation conduit souvent les contribuables à la limite du possible, voire au-delà.

En ce qui concerne les notions parfois techniques et abstraites, nous aimerions souligner que l'AFC peut, dans le cadre d'un contrôle sur place, rejeter la comptabilité dans son ensemble, si celle-ci est par exemple qualifiée d'incomplète ou si la piste d'audit entre les déclarations de TVA et les pièces comptables (y compris les factures) n'est pas donnée. Elle procède ensuite à ce que l'on appelle une évaluation discrétionnaire. Cela signifie que le vérificateur de l'AFC calculera la TVA due pour une période fiscale en fonction de son pouvoir d'appréciation. Dans la pratique, il faut s'attendre à ce qu'une procédure pénale soit engagée dans de tels cas.

Notes

1 Il s'agit d'un concept propre au Parlement, différent de celui du Conseil fédéral, voir Martin Kocher, in : Expert-comptable suisse, 2010, p. 276 et suivantes, «STRAFRECHT UND STRAFPROZESSRECHT NACHEM MEHRWERTSTEUERGESETZ».

2 Cf. art. 103, al. 4, LTVA.

3 Cf. art. 103, al. 2 et 3 LTVA.

4 Cf. art. 100 LTVA.

5 Cf. Martin Kocher, in : ASA 79 (201/2011), n° 1/2, p. 97, «KLARE TAT, UNKLARE TÄTERSCHAFT NACH REVIDIERTEM MEHRWERTSTEUERGESETZ».

6 Cf. art. 97 LTVA avec des renvois à l'art. 106, al. 3, et à l'art. 34 CP.

7 Cette règle a été constatée à plusieurs reprises dans un passé proche.

8 Cf. art. 96 al. 1 LTVA.

9 Cf. art. 96 al. 2 LTVA.

10 Cf. art. 96 al. 4 LTVA.

11 Cf. Martin Kocher, op. cit., p. 284, «STRAFRECHT UND STRAFPROZESSRECHT NACHEM MEHRWERTSTEUERGESETZ»

12 Cf. art. 72 LTVA.

13 Cf. art. 102 LTVA.

14 Cf. Martin Kocher, op. cit., p. 284, «STRAFRECHT UND STRAFPROZESSRECHT NACH NEUEM MEHRWERTSTEUERGESETZ».

15 Cf. art. 96, al. 5, LTVA.

16 Cf. art. 98 LTVA.

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