Reporting sur la durabilité: Comment les entreprises peuvent-elles contribuer?

Atteindre des émissions nettes nulles nécessite des engagements importants de la part des gouvernements et des entreprises; cet objectif ne sera possible que si les activités à l'origine des émissions sont documentées avec précision afin de mesurer pleinement les impacts qu'elles génèrent et l'effet des mesures prises.

17/04/2024 De: Thomas Rautenstrauch
Reporting sur la durabilité

Introduction

Aujourd’hui, les émissions annuelles de gaz à effet de serre dans le monde s'élèvent à environ 50 milliards de tonnes d'équivalent CO2. La science du climat nous dit que les plus grands émetteurs de carbone doivent parvenir à des émissions nettes nulles d'ici 2050 pour éviter une catastrophe climatique.

Dans leur communiqué de juin 2021, les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales du G7 ont demandé des informations financières obligatoires liées au climat, sur la base du cadre de la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD). Dans leur lettre, ils ont souligné la nécessité de rendre le système financier mondial plus «vert» afin que les décisions financières tiennent compte des considérations climatiques. Cela contribuera à mobiliser les ressources financières nécessaires auprès du secteur privé afin de respecter les engagements des entreprises et des gouvernements. Il en va de même pour la perte de biodiversité et la gestion d'autres défis sociaux abordés par les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies.

Les experts comptables peuvent également apporter une contribution importante à cet égard. Cette profession, telle que nous la connaissons aujourd'hui, a été créée à la fin du 19e siècle pour fournir des services de rapport et d'audit, et servir l'intérêt public. Au fil du temps, la profession a apporté confiance, transparence et assurance aux marchés des capitaux du monde entier. Aujourd'hui, la profession est confrontée à la fois à un défi et à une opportunité: elle doit mettre à profit son longue expérience en matière de mesure, de publication et d'audit d'indicateurs de performance pour aborder de manière ciblée le changement climatique et d'autres défis sociétaux, en coopération avec les gouvernements, les entreprises et la société civile. Les auditeurs peuvent aider à «sauver le monde» de trois manières:

  • obtenir des métriques cohérentes à l'échelle mondiale
  • examiner des rapports sur le climat et la durabilité
  • les intégrer dans les fonctions comptables et financières

Développements récents de la reporting sur la durabilité

Avec la prise de conscience croissante de leur responsabilité sociale, de plus en plus d'entreprises publient, en sus de leurs chiffres financiers, des rapports sur le développement durable. La publication de ces informations vise à donner une image plus complète de la performance d'une entreprise, tout en abordant l'impact sur l'environnement et la société. Cette transparence accrue s’explique surtout par les attentes croissantes des investisseurs, des consommateurs, des collaborateurs, de la société au sens large, de la politique et des régulateurs, mais aussi des industries elles-mêmes.

Groupe d'intérêt «Société»

Partout dans le monde, les milieux concernés exigent des entreprises qu'elles assument leur responsabilité sociale et environnementale. On observe ainsi que 56% de la population mondiale estime que le capitalisme tel qu'il existe aujourd'hui fait plus de mal que de bien dans le monde. De même, les attentes de la société augmentent dans le cadre de l'accord de Paris sur le climat et des 17 objectifs de développement durable à l'horizon 2030 (ODD) définis par les Nations unies. Les ODD visent à réduire la pauvreté dans le monde et à lutter contre les inégalités, l'injustice et le changement climatique d'ici 2030. L'accord de Paris sur le climat, qui vise à limiter l'augmentation de la température moyenne mondiale bien en dessous de 2 °C, avec des efforts pour atteindre 1,5 °C au-dessus des niveaux préindustriels, est lié à la nécessité de transformer et de décarboniser l'économie. Ces développements sont de plus en plus soutenus par la société, notamment par des mouvements tels que «Fridays for Future» ou «Scientists for Future». En outre, la consommation durable joue également un rôle important. Ainsi, 72,3% des Suisses déclarent faire attention à l'efficacité énergétique lors de l'achat d'appareils électroniques, tandis que 43,2% choisissent également des produits bio lorsqu’ils achètent des denrées alimentaires.

Les entreprises du monde entier joueront un rôle décisif dans la mise en œuvre de l'accord de Paris sur le climat et des ODD. De nombreuses entreprises s'efforcent déjà de contribuer à la résolution des défis sociétaux.

Groupe d’intérêt «Investisseurs»

Pour les investisseurs en particulier, les facteurs non financiers liés à l'environnement, au social et à la gouvernance d'entreprise responsable (Environment, Social and Governance [ESG]) jouent un rôle central dans les décisions d'investissement. Une étude internationale menée auprès de 298 investisseurs institutionnels révèle que presque tous les investisseurs interrogés (98%) procèdent à une évaluation des rapports non financiers des entreprises cibles. Les banques en Suisse indiquent à 77% qu'elles vont probablement ou même certainement augmenter la part des investissements durables. Toujours en Suisse, selon Swiss Sustainable Finance, les investissements durables ont dépassé les 1500 milliards de CHF en 2020, ce qui correspond à une croissance de 31% par rapport à l'année précédente. En outre, des études ont montré que les entreprises et les fonds d'investissement qui affichent une meilleure performance en matière de durabilité ont également une meilleure performance financière.

Groupe d’intérêt «Régulateurs»

De même, les autorités de régulation attendent de plus en plus que les critères de durabilité soient pris en compte dans la stratégie des entreprises, notamment en matière d'investissement, ainsi que dans les rapports, en particulier de la part de l'Union européenne (UE), mais aussi en Suisse et dans le monde. Ainsi, l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) se penche de plus en plus sur les risques climatiques et exige de la part des banques et des assureurs importants une plus grande transparence sur les risques financiers liés au climat. De même, le contre-projet à l'initiative sur la responsabilité des multinationales (IRC) oblige certaines entreprises suisses à publier un rapport non financier sur divers thèmes de durabilité (y compris les objectifs en matière de CO2) et à exercer un devoir de diligence dans les domaines des minéraux et des métaux provenant de zones de conflit ainsi que du travail des enfants.

Depuis l'exercice 2017, la directive européenne 2014/95/UE relative à la publication d'informations non financières et d'informations relatives à la diversité (directive RSE) exige des grandes entreprises d'intérêt public de plus de 500 salariés qu'elles publient une déclaration non financière. En outre, l'actuel plan d'action de l'UE pour le financement de la croissance durable vise à réorienter les capitaux vers des investissements durables, à gérer les risques liés au changement climatique, à promouvoir la transparence et à lutter contre le court terme dans le secteur financier. Le plan d'action a donné lieu à plusieurs initiatives législatives qui ont un impact direct sur le reporting sur la durabilité des entreprises et des acteurs du marché financier. Par exemple, le règlement de l'UE sur les obligations d'information en matière de durabilité dans le secteur financier (règlement [UE] 2019/2088) exige que les acteurs du marché financier et les conseillers financiers augmentent leur transparence en ce qui concerne les risques de durabilité et leur prise en compte dans la politique de rémunération, les impacts négatifs de l'entreprise sur la durabilité et les informations sur les produits financiers durables. En outre, la taxonomie de l'UE pour les investissements durables (règlement (UE) 2020/852) exige des acteurs du marché financier une plus grande transparence en matière d'investissements écologiques ainsi que des entreprises qu'elles publient la part de leur chiffre d'affaires et de leurs dépenses d'investissement et d'exploitation qui peuvent être classées comme «vertes» à partir de 2022 pour l'exercice 2021. Fin avril 2021, la Commission européenne a également présenté une proposition de nouvelle directive actualisée sur la responsabilité sociale des entreprises (RSE), appelée Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD). Les modifications contenues dans la CSRD ont des conséquences importantes pour les entreprises de l'UE et les groupes ayant des filiales dans l'UE. La nouvelle DRSC concernerait environ 49 000 entreprises dans l'UE, alors que la directive actuelle sur la RSE couvre environ 11 600 entreprises. De même, les obligations de rapport seront étendues et une nouvelle norme de rapport à créer sera rendue obligatoire. Ces exigences doivent être mises en œuvre pour les exercices commençant le 1er janvier 2023 ou après.

Intégration dans les fonctions comptables et financières

Une entreprise ne peut créer de la valeur pour toutes ses parties prenantes que si elle utilise les compétences et les apports de l'ensemble de l'organisation à cette fin. Le service comptable et financier peut jouer un rôle clé dans cet effort collectif en se penchant sur les exigences des différentes parties prenantes – notamment les clients, les collaborateurs et les investisseurs –, en les comprenant et en les traduisant en indicateurs et en publications pertinents et solides.

Pour que les entreprises génèrent réellement de la valeur à long terme (et soient en mesure de la mesurer et de la communiquer), une focalisation sur les résultats des parties prenantes devrait être profondément ancrée dans l'entreprise et guidée par sa raison d'être. La réponse aux besoins de ces mêmes parties prenantes devrait inclure une évaluation holistique de la stratégie de l'entreprise, les ressources et les compétences nécessaires à une mise en œuvre réussie, ainsi qu'une explication cohérente afin de rendre l'impact sur le marché transparent grâce à la mesure, au reporting et à la communication.

L'élaboration et la mise en œuvre d'une stratégie convaincante, centrée sur la raison d'être ou le but de l'entreprise, impliquent un certain nombre d'activités commerciales, notamment l'évaluation de la concurrence, la cartographie des parties prenantes, la définition et l'activation de la raison d'être de l'entreprise, l'expérience des employés, la promesse de valeur pour les clients, la gestion de la chaîne d'approvisionnement, les décisions d'allocation du capital et les systèmes d'incitation pour les cadres.

Les actifs immatériels tels que le capital humain, la culture d'entreprise, la fidélité des clients et la confiance représentent entre 50% et 80% de la valeur de marché d'une entreprise - mais les pratiques comptables courantes ne comptabilisent que les coûts liés aux actifs immatériels. Il existe un écart similaire entre la comptabilité actuelle et les rendements pour les actionnaires. Le compte de résultat ne prend en compte les variations de valeur que de certains actifs et passifs. Le savoir-faire stratégique ne figure pas au crédit.

Une compréhension commune des moteurs de valeur de ces flux de trésorerie est nécessaire pour être en mesure de mesurer les caractéristiques largement immatérielles des entreprises du 21e siècle. On pourrait envisager d’introduire des indicateurs qui mesurent et comparent les actifs immatériels et matériels. En répertoriant ces facteurs plus difficilement mesurables, on réduit ce que l'on appelle l'Investment Disconnect, c'est-à-dire l'écart entre les exigences à court terme des investisseurs et l'augmentation de la valeur de l'entreprise à long terme.

Le rapport doit être crédible et pertinent pour les parties prenantes et établir un lien clair entre les informations financières et non financières. Les directeurs financiers et les contrôleurs financiers peuvent contribuer à la pertinence et à la qualité des informations non financières publiées en s'appuyant sur leur expérience et leur connaissance des systèmes d'information de gestion, des processus de reporting et des contrôles. Les fonctions financières peuvent également aider à mettre en place une gouvernance efficace et à obtenir un examen indépendant des processus, contrôles et indicateurs non financiers, ce qui est essentiel pour instaurer la confiance et la transparence vis-à-vis des parties prenantes.

Résumé

Globalement, le reporting sur la durabilité n'est pas seulement une question de transparence. Il s'agit en effet de transformer l'économie. Alors que des normes mondiales réglementaires et volontaires sont en cours d'élaboration, il ne faut pas oublier que les rapports sur le climat et le développement durable ne peuvent pas à eux seuls résoudre les défis tels que le changement climatique. Mais ils sont essentiels pour mesurer et communiquer de manière adéquate les progrès réalisés.

Si les entreprises saisissent les opportunités de la transformation de la durabilité, elles sont sur la bonne voie avec l'introduction de nouvelles normes. En outre, elles peuvent utiliser les informations recueillies pour informer leurs stratégies, gérer leurs risques et obtenir une performance plus forte et plus durable à long terme. Les entreprises peuvent également s'appuyer sur des audits avec une assurance limitée ou raisonnable pour renforcer la confiance des parties prenantes et respecter les obligations réglementaires attendues. La DCDR proposée par l'UE exigera par exemple des entreprises concernées qu'elles soumettent leurs informations publiées en matière de développement durable à un examen (examen avec assurance modérée), soit par leur auditeur, soit par un prestataire de services d'audit indépendant.

La profession comptable a ainsi la possibilité de mettre son expérience en matière de systèmes de reporting au service de la lutte contre le changement climatique et de la réalisation des ODD de l'ONU. Les professionnels de la comptabilité et de la finance contribueront à améliorer la pertinence et la qualité des rapports sur le climat et le développement durable grâce à leur rôle dans la gestion des entreprises, des associations et des organismes spécialisés. En outre, en procédant à un examen indépendant des rapports correspondants, ils suscitent la confiance des utilisateurs des informations publiées.

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