Immobilisations incorporelles: Stratégies de mise au bilan
Aides de travail appropriées
Une situation de départ ouverte selon le Code suisse des obligations
Le CO exige que les tiers puissent se faire une opinion fiable sur la situation économique de l'entreprise (art. 958 al. 1 CO). Il ne s'agit donc, pour l'instant, que de sa situation, de son bilan, et éventuellement des explications fournies à l’annexe qui en font partie.
Attention toutefois : le principe de la prudence prévaut dans le CO (art. 958c, al. 1, ch. 5 CO). Le principe de la prudence va à l'encontre de l'image fidèle («true & fair view») que Swiss GAAP RPC et les IFRS (International Financial Reporting Standards) se sont engagés à respecter. Le CO, comme nous l’avons dit, est issu d'une autre philosophie comptable, le principe de la prudence : il autorise la constitution, l'existence et la dissolution de réserves latentes selon le principe du plaisir et du besoin des créateurs. L'art. 960 al. 2 CO stipule : «L'évaluation doit être prudente, mais ne doit pas empêcher une appréciation fiable de la situation économique de l'entreprise. Des amortissements et des corrections de valeur supplémentaires peuvent toutefois être effectués à des fins de remplacement ou pour assurer la prospérité durable de l'entreprise. L’entreprise peut, pour les mêmes motifs, renoncer à dissoudre des amortissements ou des corrections de valeur qui ne sont plus justifiés» (art. 960a, al. 4 CO). Le MSA (Manuel suisse d'audit), volume «Comptabilité et présentation des comptes», est également d'avis qu'il s'agit ici d'un passe-droit permettant d'amortir entièrement un actif en deux étapes (MSA 2023, p. 36, note 56 et p. 74, note 209).
Concrètement, cela signifie que si une immobilisation incorporelle doit être inscrite au bilan, elle peut être amortie rapidement, indépendamment de son potentiel d'utilisation. Ici, nous n'avons pas de verrou de sous-évaluation tiré du CO. S'il est quelquefois délicat de réévaluer, il n'est cependant pas juridiquement problématique de prévoir d'amortir trop peu ou pas du tout en vue de dissoudre des réserves latentes.
Passons maintenant au verrou du haut, à l'évaluation maximale d'un actif : les actifs peuvent être évalués au maximum à leur valeur d'acquisition ou à leur coût de production. Ces valeurs ne doivent jamais être dépassées (art. 960a, al. 1 et 2 CO). Les valeurs de marché selon l'art. 960b CO n'entrent guère en ligne de compte, car les immobilisations incorporelles n'ont généralement pas de cours boursier ou de valeur de marché observable.
Pour la mise au bilan d'un actif, le CO dit à l'article 959, alinéa 2 : «L’actif comprend les éléments du patrimoine dont l’entreprise peut disposer en raison d’événements passés, dont elle attend un flux d’avantages économiques et dont la valeur peut être estimée avec un degré de fiabilité suffisant. Aucun autre élément du patrimoine ne peut être porté au bilan». Si les conditions ne sont pas réunies, l'interdiction de porter les valeurs à l'actif s'applique. Le MSA 2023 (p. 66, note 173) et le commentaire pratique 2019 (p. 301) en déduisent une obligation de porter les valeurs à l'actif si les conditions sont remplies. Il est évident qu'une large part d'appréciation est inhérente aux conditions susdites.
Que signifie cette notion pour les valeurs immatérielles créées par l'entreprise ? Du point de vue de la prudence, il n'y a guère de marge pour activer des valeurs immatérielles créées par l'entreprise sur la base du CO. Formellement, les critères peuvent toutefois être remplis. Prenons l’exemple suivant : une entreprise développe un succédané de viande innovant sur une base entièrement nouvelle. Un prototype a été fabriqué, dont le prix est comparable à celui des autres produits de substitution disponibles sur le marché. Les différentes évaluation faites par les consommateurs ont été positives pendant la phase de test et la mise en vente de l’ersatz est prévue dans six mois. Le développement du produit (les «événements passés» de l’art. 959, al. 2 CO) ayant abouti, il est probable, à plus de 50%, que le produit trouve un marché et que la vente permette de réaliser un bénéfice. Les coûts de développement y relatifs ont été enregistrés dans un centre de coûts. L’affaire semble ficelée, mais, si l’on s’en tient au CO, le fait de porter ces valeurs à l’actif serait malgré tout inusuel et se devrait d’être documenté comme il se doit puisqu’une capitalisation des coûts de développement est prévue. Si l’on procédait toutefois de la sorte et que l’on documente la chose comme le requiert la loi, une base de données créée par l'entreprise elle-même ne pourrait vraisemblablement pas être retenue en l’espèce, et ce même si les critères de comptabilisation à l'actif semblent bel et bien remplis : le principe de la prudence y mettrait, dans sa forme actuelle, un terme abrupt compte tenu de la cybercriminalité rampante et de certains risques juridiques majeurs de violation de la loi sur la protection des données.
Les recommandations relatives à la présentation des comptes Swiss GAAP RPC offrent différentes options en la matière
Valeurs immatérielles selon les RPC 10
Dans RPC 10, la section «Valeurs incorporelles» traite spécifiquement de ce sujet et exige que les valeurs immatérielles acquises soient inscrites au bilan si elles activent un profit mesurable sur plusieurs années (RPC 10/3). Pour les valeurs immatérielles créées par l'entreprise elle-même, RPC 10/4 stipule qu'elles doivent être évaluées à leur juste valeur :
Les immobilisations incorporelles générées par l'entité ne peuvent être activées que si elles remplissent de manière cumulative les conditions suivantes au moment de l'inscription au bilan :
- La valeur incorporelle créée par l'entité elle-même est identifiable et sous son contrôle.
- La valeur incorporelle créée par l'entité elle-même est de nature à apporter un profit mesurable sur plusieurs années.
- Les dépenses engagées pour créer la valeur incorporelle générée par l'entité peuvent être comptabilisées et mesurées séparément.
- Il est probable que les fonds nécessaires à l'achèvement et à la commercialisation ou à l'utilisation personnelle de l'immobilisation incorporelle soient disponibles ou mis à disposition.
Le respect de ces critères doit être documenté lors de l'inscription à l'actif. De plus, contrairement à l'IAS 38, il s'agit d'une disposition potestative, c'est-à-dire que même si les critères peuvent être considérés comme remplis, l'auteur du rapport financier est toujours libre de renoncer à comptabiliser ces dépenses dans le bilan et peut décider de les comptabiliser en tant que charges.
En ce qui concerne leur publication, il y a un bémol : que cela soit dans le tableau des immobilisations ou dans l'annexe, les montants des valeurs incorporelles acquises et des valeurs incorporelles créées par l'entreprise ne doivent pas être publiés séparément. Il serait également souhaitable que les RPC 10 exige explicitement la publication d'explications narratives sur les valeurs incorporelles inscrites au bilan et sur celles comptabilisées en tant que charges, et ce notamment parce qu'il n'existe pas en Suisse de rapport de gestion standardisé.
Recommandations de produits
Dispositions dans les comptes consolidés concernant la survaleur (goodwill) et les immobilisations incorporelles issues d'acquisitions
Dans les RPC également, la survaleur créée par l'entreprise est explicitement soumise à une interdiction d'inscription à l'actif (RPC 10/19).
Le principe selon les RPC 30/14 est le suivant : «Lors d'une acquisition, les actifs et les passifs repris doivent être inscrits au bilan à la date d'acquisition du contrôle et évalués à leur valeur actuelle. Les actifs incorporels qui n'ont pas encore été saisis et qui sont importants pour la prise de contrôle doivent également être identifiés et inscrits au bilan».
Il y a ici deux «vides juridiques» qui ne demandent qu'à être comblés : l'entreprise doit/peut évaluer si les actifs qui n'ont pas encore été comptabilisés remplissent le critère de la pertinence en matière de décision. Ce n'est qu'en cas de réponse positive à cette question que l'actif doit être nouvellement comptabilisé dans le bilan du groupe. Les valeurs actuelles s'appliquent et la différence restante représente la survaleur acquise.
Le second «vide» peut être comblé d’une manière encore plus pratique : il permet de renoncer totalement à la séparation des valeurs immatérielles qui n'étaient pas comptabilisées jusqu'à présent (RPC 30/18).
On note ici certaines différences fondamentales avec l'IFRS, qui tentent de réduire la marge de survaleur par une répartition du prix d'acquisition («Purchase Price Allocation», «PPA»). En effet, plus les immobilisations incorporelles non cédées restent dans la valeur forfaitaire du «goodwill», plus la dépréciation des actifs qu'ils contiennent ont tendance à être compensées par des augmentations de valeur d'autres actifs.
Pas de durée d'utilisation illimitée : en cas de durée d'utilisation non déterminable, les RPC 30/16 fixent une durée cinq ans ; la durée d'utilisation du goodwill acquis ne doit pas dépasser 20 ans.
Au moment de l'acquisition, une compensation de la survaleur au moyen de fonds propres est également autorisée (RPC 30/20). Au moment de la cession, c'est l'heure de vérité : le bénéfice d'aliénation ou la perte sur aliénation doit être déterminée comme si le goodwill avait été activé.
Les immobilisations incorporelles en bref
Le Code suisse des obligations autorise l'inscription à l'actif des valeurs incorporelles créées par l'entreprise elle-même et fixe en principe les critères de comptabilisation au bilan de la même manière que les RPC 10. Toutefois, le CO n'exige pas que les moyens nécessaires à l'achèvement et à la commercialisation ou à l'utilisation propre de la valeur incorporelle soient disponibles ou mis à disposition. Dans les RPC 10, l'inscription au bilan des valeurs incorporelles créées par l'entreprise est une «disposition potestative», alors que dans le CO, l'obligation d'inscription à l'actif offre une marge d'appréciation inhérente aux critères d'inscription au bilan.
Dans la section «Comptes consolidés» des RPC 30, différentes règles s'ajoutent dans le cadre d'une acquisition de valeurs incorporelles ; celles-ci offrent toutefois quelques options : la compensation du goodwill lors de l'acquisition avec des fonds propres est possible, de même qu'il est possible de renoncer à une «PPA», c'est-à-dire à la séparation d'autres actifs incorporels du goodwill lors de la comptabilisation de ce dernier.