Mandat: Différences par rapport au contrat de travail

La délimitation entre contrat de mandat et contrat de travail pose de plus en plus de défis pratiques en raison des nouvelles formes de travail et de coopération actuelles. Parallèlement, le droit exige que l’on choisisse clairement l’une des deux catégories. Cet article vous propose justement d’examiner la pertinence des critères de distinction classiques.

26/11/2024 De: Christina Winter
Mandat

La mutation du monde du travail et ses conséquences

Les nouvelles formes de travail et de collaboration rendent nettement plus floues les frontières entre rapports de travail et rapports de mandat. De plus en plus de personnes travaillent en tant que freelances ou indépendants, proposent leurs prestations de travail via des plateformes, travaillent en tant que crowdworkers ou nomades numériques. La flexibilisation croissante dans le choix du lieu et du temps de travail, la déhiérarchisation, les tendances à l’auto-organisation des travailleurs ou encore un recours croissant aux offres de travail sur plateforme sont les principales causes de cette évolution.1

Par flexibilisation locale et temporelle, on entend par exemple que les parties contractantes d’une relation de travail ne se trouvent souvent plus au même endroit, voire même dans le même fuseau horaire, pendant leur travail. Cela limite bien sûr fortement les possibilités de contrôle de l’employeur respectivement l’accès que ce dernier a au travailleur.

Force est de constater que ces phénomènes, et d’autres similaires, modifient durablement la plupart des formes de collaboration – nous évitons ici à dessein le terminus technicus de «relation de travail» – étant donné qu’elles s’écartent de plus en plus souvent et de moult manières du contrat de travail classique. Isabelle Wildhaber et Frédéric Barth n’ont pas tort de qualifier ces évolutions de «changements structurels dans les relations de travail»,2 qui, de mon point de vue, ont déjà acquis un caractère irréversible et laisseront une marque durable, quand bien même certaines entreprises connues ne cessent de pousser des cris d’orfraie dans les médias et de s’afficher comme étant critiques et dubitatives à l’égard du télétravail.

La gageure consiste, aujourd’hui et à l’avenir, à délimiter une relation de travail d’une relation de mandat, le droit exigeant jusqu’à présent une attribution claire en la matière. Cela place les employeurs et les employés devant des enjeux de plus en plus importants, car certaines réalités professionnelles vécues ne sont plus guère juridiquement «qualifiables». Le temps du dualisme et de la claire dichotomie est appelé à disparaître. A cela s’ajoute que le droit civil et le droit des assurances sociales se distinguent aussi en partie en fonction de l’attribution qui est faite. Ce qui, du point de vue du droit civil, est qualifié de rapport de mandat, peut néanmoins constituer un rapport de travail selon le droit des assurances sociales, ce dernier préconisant une protection sociale élevée afin de protéger la partie la plus faible. Pour toutes ces raisons, il convient dès lors d’expliquer en quoi ces deux rapports juridiques se distinguent.

Mandat: Critères de distinction

Une relation de travail est un contrat de durée, déterminée ou indéterminée, dans le cadre duquel l’une des parties est tenue de fournir un travail et l’autre de le rémunérer.3 Ce dernier point n’est pourtant pas ce qui distingue nécessairement la relation de travail du contrat de mandat, car dans ce dernier aussi, il s’agit le plus souvent d’un échange de travail contre rémunération. C’est pourquoi l’importance particulière accordée au critère de subordination s’est cristallisée au cours de l’histoire comme l’une des caractéristiques essentielles d’une relation de travail en vue de la distinguer clairement d’autres relations contractuelles, notamment de celle du mandat.4

Juridiquement parlant, la subordination signifie que le travailleur s’intègre dans une organisation de travail étrangère et que l’employeur est naturellement habilité à lui donner des instructions.5 La pratique juridique a recensé différents indices qui peuvent souvent être utilisés pour évaluer le degré de subordination d’une relation, infirmant ou confirmant l’existence d’une relation de travail ou d’un mandat:

Accord et octroi de droits et d’obligations typiques du contrat de travail

Si les parties conviennent de droits et d’obligations relevant du contrat de travail, tels que l’octroi de jours de vacances, le maintien du salaire en cas de maladie, une prohibition de faire concurrence à titre post-contractuel ou le remboursement de certains frais, la probabilité qu’un tel rapport contractuel soit également considéré comme un rapport de travail augmente notablement.6

Dépendance ou indépendance financière

Le degré de dépendance financière est souvent utilisé pour distinguer une relation de mandat d’une relation de travail. Si telle ou telle personne ne reçoit que des paiements en espèces de la part d’une entreprise et ne dispose d’aucune autre source de revenus, elle est entièrement dépendante financièrement de ce partenaire contractuel, de sorte qu’il faut plutôt considérer qu’elle est liée par des instructions ou qu’elle est subordonnée audit partenaire.

Ce critère de distinction peut toutefois être relativisé en raison de la possibilité d’avoir plusieurs contrats de travail à temps partiel. Cela montre qu’un travailleur peut disposer de plusieurs sources de revenus et qu’il s’agit malgré tout d’une relation de travail.7

Néanmoins, un degré élevé de dépendance financière vis-à-vis d’une seule source de revenus indique plutôt une relation de travail qu’une relation de mandat.

Assumer le risque d’entreprise ou d’exploitation

Traditionnellement, ce qui distingue le travailleur de l’entrepreneur, c’est que le travailleur n’a pas à supporter le risque entrepreneurial. Ce critère est d’une importance capitale, tout du moins pour les assurances sociales. Dans le contexte du droit civil, la définition même de ce risque prête de plus en plus le flanc à la critique, car ce dernier est, de nos jours, volontiers transféré aux travailleurs, par exemple par le biais d’une fixation créative des salaires ou de l’utilisation de plateformes et perd, ce faisant, son caractère jusqu’alors univoque.8

Détermination autonome du lieu et de l’heure d’exécution du travail

Le travailleur ne peut pas, en règle générale, décider de lui-même du lieu et de l’heure de la prestation de travail parce qu’il est soumis aux instructions de son employeur. Ce dernier détermine donc quand et d’où le travailleur doit remplir ses obligations. En revanche, un mandataire pourra, lui, disposer librement de l’organisation effective de son travail.

Je suis d’avis, à l’heure actuelle, que cet aspect précis joue un rôle de moins en moins essentiel.9 A l’époque de l’auto-organisation, des stations de travail, du télétravail et du travail mobile, l’employé peut lui aussi décider de plus en plus souvent du lieu et de l’heure de sa prestation de travail – mais uniquement si l’employeur lui consent cette liberté. C’est là que réside la différence cruciale: dans le cadre d’un contrat de travail, l’accord de l’employeur est nécessaire et il n’existe, légalement, aucun droit au télétravail. Dans le cadre d’un contrat de travail, le travailleur est donc tributaire de l’accord de son employeur, ce qui n’est généralement pas le cas d’un mandataire.

Présentation vers l’extérieur (site web, adresse e-mail, adresse)

Un critère de distinction fréquent concerne l’image de la personne concernée. Il s’agit de savoir si une personne se présente à l’extérieur sous son propre nom ou sous le label d’une organisation étrangère. Il peut s’agir par exemple d’un site web, de la conception d’une adresse e-mail,10 d’une adresse professionnelle, d’une présence sur LinkedIn ou de cartes de visite.11 Si un prestataire n’agit pas sous son nom personnel, mais en tant que directeur ou propriétaire d’une personne morale extérieure, il est généralement plus facile de garantir une image crédible et indépendante.

Il s’agit là d’un critère de distinction primordial, auquel les partenaires sociaux sont particulièrement attentifs lors de l’évaluation et de la classification d’une relation de mandat. S’il s’agit donc d’une relation de mandat et non d’une relation de travail, il s’avère payant d’investir quelque peu dans l’image que l’on donne de soi et de son entreprise en tant qu’acteur indépendant.

La manière dont un contrat est désigné n’est pas pertinente pour sa qualification. En effet, selon l’art. 18, al. 1 CO, seule la réalité vécue est déterminante et celle-ci doit être évaluée comme un paquet global en tenant compte des différents indices mentionnés ci-dessus. Ce n’est qu’en ayant une vue globale qu’il est possible de déterminer si, dans un cas particulier, l’on est en présence d’un rapport de travail ou d’un rapport de mandat.

Perspectives

Il s’avère que la distinction entre relation de travail et relation de mandat est de plus en plus confrontée aux différentes (r)évolutions de la réalité du monde du travail. Ces dernières rendent en effet toute différenciation complexe: il faut actuellement prendre en compte des facteurs toujours plus nombreux si l’on entend pouvoir encore procéder à une quelconque classification. La question se pose donc de savoir si la distinction en question est encore véritablement d’actualité, osera- t-on dire.12

Il serait également envisageable d’améliorer la protection sociale pour d’autres formes de contrats, afin de ne plus devoir s’en tenir strictement à la distinction entre rapport de travail et contrat de mandat.13 Personnellement, je suppose que nous assisterons à un démantèlement croissant de la protection sociale en raison de la modification des rapports de collaboration, de la progression de la technologisation et des développements internationaux. Il vaut donc la peine de réfléchir de manière dynamique à la direction dans laquelle la Suisse souhaite se développer avant d’être rattrapée par la réalité.

REMARQUES UTILES 
• Dans les nouvelles formes de travail (freelance), il est souvent difficile de faire la différence entre un mandat et un rapport de travail. 
• Un rapport de travail se reconnaît au fait que le travailleur doit suivre les instructions de l’employeur. Ce dernier point n’est toutefois pas toujours clair dans les nouvelles formes de travail. 
• Une présence professionnelle propre, par exemple par le biais d’un site web, indique plutôt l’existence d’un rapport de mandat.

NOTES DE BAS DE PAGE
1 Barth/Wildhaber, Was ist ein Arbeitsvertrag? – Abgrenzung des Einzelarbeitsverhältnisses von anderen Dienstleistungsverträgen in der Arbeitswelt 4.0, in: ARV 2022, p. 127 ss.
2 Barth/Wildhaber (NBP 1) p. 128.
3 Art. 319 Abs. 1 CO; Streiff/von Kaenel, Arbeitsvertrag, 319 N 2.
4 Cf. Barth/Wildhaber (FN 1) p. 130 ss.
5 TF 4A_64/2020 du 6.8.2020, consid. 6.1 ff; Gersbach/ Gross, OR 319, in: Etter/Facincani/Sutter (Hrsg.), Arbeitsvertrag, Stämpflis Handkommentar SHK, Bern 2021, N 6.
6 Gersbach/Gross (FN 5) N 7.
7 Cf. TF 4A_64/2020 du 6.8.2020, consid. 6.3.6.
8 Barth/Wildhaber (FN 1) p. 142.
9 Barth/Wildhaber (FN 1) p. 138 ss.
10 Cf. TF 4A_404/2009 du 22.10.2009, consid. 4.
11 Cf. TF 4A_404/2009 (FN 10).
12 Cf. Barth/Wildhaber (FN 1) p. 143–144.
13 Barth/Wildhaber (FN 1) p. 143–144.

Newsletter S’abonner à W+