Contrat de vente immobilière: Nouvelles décisions de justice

En 2022 et 2023, le Tribunal fédéral a eu plusieurs fois l'occasion de se prononcer sur certains aspects importants du contrat de vente immobilière, tels que la responsabilité pour les qualités promises, la tromperie dolosive, l'erreur essentielle et les exigences de forme lors de la vente immobilière. Les principales nouveautés les plus pertinentes vous sont présentées dans cet article.

04/10/2024 De: Maja Baumann
Contrat de vente immobilière

Métré trop faible de l'immeuble (TF 4A_499/2022 du 8 août 2023)

Dans le cas présent, il s'agissait d'une unité d'étage qui était plus petite qu'indiquée sur les plans déposés au registre foncier. Le litige portait sur la question de savoir si cela constituait un défaut devant être évalué selon l'art. 219 CO.

L'article 219 CO prévoit que le vendeur d'un immeuble doit indemniser l'acheteur si l'immeuble n'a pas la contenance indiquée dans le contrat de vente; demeurent réservés les autres accords contractuels ainsi que les écarts par rapport aux dimensions portées au registre foncier sur la base d'une mensuration officielle. Le vendeur n'est responsable de la contenance que s'il la garantit explicitement dans le contrat de vente. L'art. 219 CO est un cas particulier d'écart de quantité. D'autres défauts, comme par exemple un volume insuffisant du bâtiment, sont soumis à la réglementation ordinaire des articles 197 ss CO.

Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a précisé qu'une surface trop petite d'une unité de propriété par étage par rapport aux plans - qui constituaient certes une pièce justificative portée au registre foncier, mais qui n'étaient pas saisis par la mensuration officielle consignée au registre foncier - ne devait pas être évaluée selon l'art. 219 CO mais selon la réglementation des art. 197 ss. CO. Le vendeur était donc tenu, dans ce cas-ci, de rembourser le défaut ou la moins-value (plus d'informations à ce sujet dans le paragraphe suivant).

Ecart par rapport aux qualités promises (TF 4A_499/2022 du 8 août 2023 et TF 4A_189/2021 du 21 mars 2023)

Dans l'arrêt susmentionné, le Tribunal fédéral a déclaré que les « qualités promises » selon l'art. 197 al. 1 CO englobent aussi bien les garanties explicites qu'implicites du vendeur concernant l'objet de la vente. Ce qui importait, en l'occurrence, était de savoir si l'acheteur pouvait se fier de bonne foi à l'indication comme quoi l'objet présentait une certaine qualité objectivement constatable.

Selon le Tribunal fédéral, les indications de surface figurant sur les plans utilisés lors des entretiens contractuels avant la conclusion du contrat de vente d'une unité d'étage sont des qualités promises ; l'acheteur peut en principe s'y fier sans devoir vérifier l'exactitude des indications avant conclusion du contrat. Même si l'acheteur visite l'appartement qu’il souhaite acquérir, il n'est pas tenu de remarquer une différence de surface et peut s’en remettre aux plans. Il est présumé que, selon l'expérience générale de la vie, la surface ainsi promise d'un appartement est bel et bien déterminante dans la décision de l'acheteur de se porter acquéreur de l’unité d'étage au prix convenu. Dans le cas concret, la documentation de vente du bien immobilier mentionnait 288m2 de surface habitable, répartis en 6,5 pièces, dont deux au 2e étage. Lors de l'acquisition, l'acheteur a reçu des plans indiquant deux pièces au 2e étage, l'une de 66,5m2 avec plus de 2,40m de hauteur et l'autre de 81,7m2 avec moins de 2,40m de hauteur. Le tribunal a estimé que l'acheteur était en droit de supposer de bonne foi que la chambre de plus de 2,40m de hauteur pouvait être habitable (alors qu’elle ne l’était pas) et que l'absence de cette qualité implicitement promise lui donnait droit à une réduction du prix d'achat.

Dans un autre cas, le vendeur avait garanti la possibilité de louer le bien immobilier. Il existait cependant une décision émanant de l'autorité communale excluant cette possibilité. Même si cette dernière décision avait été contestée et que la procédure était encore en cours, il y avait dès lors un défaut : on ne peut pas exiger d'un acheteur qu'il attende pendant des années l'issue d'une procédure le limitant dans ses actes. Le Tribunal fédéral a en outre précisé que le moment de la remise du bien était pertinent pour déterminer s'il y avait ou non un défaut.

Responsabilité en matière de qualités attendues (TF 4A_627/220)

Dans ce cas-ci, le Tribunal fédéral a indiqué que la responsabilité du vendeur est moins stricte pour les qualités attendues que pour les qualités promises, car dans le premier cas, conformément à l'article 197, al. 1 CO, l'écart doit entraîner au minimum une diminution considérable de l'utilité prévue ou de la valeur objective de la chose pour être considéré comme un défaut. En outre, il a été précisé que l'étendue des exigences en matière de qualité attendue dépend du contenu du contrat, de son interprétation selon les règles de la bonne foi et d’autres circonstances entourant le cas concret. Ce qui doit être retenu, c'est en principe la notion de valeur ou d'utilité moindre de la chose entachée d'un défaut, et ce dans la mesure où l'acheteur n'aurait pas conclu le contrat ou ne l'aurait conclu qu'à d'autres conditions s'il avait eu connaissance dudit défaut.

Dans le cas discuté, il s'agissait d'un toit de maison qui fuyait. Lors des entretiens de vente, le vendeur avait informé l'acheteur qu'il y avait eu des problèmes d'étanchéité du toit l'année précédente et qu'il y avait remédié lui-même, c'est-à-dire à titre non-professionnel. Le contrat de vente contenait une clause exclusive de l'obligation de garantie. Le Tribunal fédéral a estimé que l'étanchéité du toit était certes une caractéristique attendue d'une maison, mais qu'en révélant qu'un non-professionnel avait effectué des travaux sur le toit, l'action de bonne foi avait été satisfaite et que la clause exclusive de l'obligation de garantie était donc applicable.

Il est en outre assez remarquable que, dans cette décision, la déclaration de l'agent immobilier selon laquelle le toit était neuf n'ait pas été attribuée au vendeur et que celle-ci ait été considérée comme reflétant uniquement l'état de ses connaissances.

Dissimulation dolosive des défauts ou alors dol du vendeur (TF 4D_73/2022 et TF 4A_344/2023)

Selon l'art. 219 al. 3 CO, les défauts d'un bâtiment se prescrivent par cinq ans à compter du transfert de propriété. Toutefois, ce délai de prescription ne s'applique pas si le vendeur a intentionnellement trompé l'acheteur (art. 210, al. 6, CO). Dans ce cas, le Tribunal fédéral a clairement établi qu'en cas de tromperie dolosive, le délai de prescription de dix ans de l'art. 127 CO s'appliquait aux droits de garantie. En outre, les dispositions contractuelles qui suppriment ou limitent la garantie sont nulles en cas de défauts dissimulés dolosivement. De même, en cas de dol du vendeur, il n'est pas nécessaire de notifier immédiatement les défauts. Contrairement à d'autres cas de défauts, le vendeur qui a induit l’acheteur en erreur intentionnellement ne peut se prévaloir du fait que l’avis des défauts n’aurait pas eu lieu en temps utile (art. 203 CO).

La preuve du dol est difficile à apporter : (i) le vendeur doit avoir sciemment omis de révéler à l'acheteur un défaut existant dont il avait connaissance, (ii) l'acheteur ne doit pas avoir connu le défaut ni avoir dû le découvrir en faisant preuve de la diligence requise et (iii) le vendeur doit savoir que le défaut était important pour l'acheteur. Le Tribunal fédéral a précisé que la dissimulation doit avoir été intentionnelle (et qu'elle ne relève pas uniquement d'un dol éventuel) et que le vendeur doit avoir eu connaissance du défaut (l'ignorance, même due à une négligence grave, ne suffit pas).

Dans le premier cas, le vendeur a utilisé les données du registre foncier pour déclarer la surface agricole utile, bien qu'il soit de notoriété publique que la surface en question ne corresponde pas toujours à l'inscription au registre foncier. Il n'a toutefois pas pu être prouvé que le vendeur avait ainsi sciemment et volontairement induit l'acheteur en erreur.

Le deuxième cas concernait des unités de propriété par étage dont les plans mentionnaient des places de stationnement le long du chemin U. Après le transfert de propriété, l'acheteur a appris de la commune que les places de stationnement en question n'étaient pas susceptibles d'être approuvées. Ce n'est toutefois que deux ans plus tard qu'il a fait valoir un défaut auprès du vendeur. Comme décrit ci-dessus, les droits liés aux défauts auraient été perdus pendant cette période, à moins qu'il n'y ait eu un défaut volontairement dissimulé. Le Tribunal fédéral a répondu par la négative dans le cas présent; le vendeur n'aurait pas dû se rendre compte que certaines places de stationnement avaient été supprimées dans les plans approuvés au final, notamment parce que ce dernier était déjà très âgé à l'époque et qu'il souffrait de dépression anxieuse. La tromperie respectivement le dol n'ont donc pas pu être prouvés.

Exigence formelle du contrat de vente d'immeuble et invocation abusive de prescriptions de forme (TF 4A_424/2021)

Les contrats de vente qui ont pour objet un immeuble doivent être passés en la forme authentique pour être valables (art. 216 al. 1 CO). Cette exigence de forme s'applique également aux précontrats et aux contrats qui créent un droit d'emption, de préemption ou de réméré sur des immeubles (art. 22 al. 2 et 216 al. 2 CO). La raison de cette exigence de forme est de protéger les parties d'une décision précipitée concernant un bien aussi important et de s'assurer qu'elles comprennent la portée des obligations contractuelles en recourant aux conseils professionnels d’un notaire. Il s'agit en outre d'obtenir une expression complète et claire de la volonté de l'intéressé(e) et de créer ainsi une base sûre pour l'inscription au registre foncier. Pour ces raisons, la loi prévoit la nullité du contrat en cas de non-respect de l'exigence formelle (art. 20 CO) et le juge doit constater la chose d'office.

Il existe toutefois certaines circonstances dans lesquelles le Tribunal fédéral, se fondant sur l'interdiction de l'abus de droit (art. 2, al. 2 CC), considère le contrat comme valable malgré sa nullité formelle. Un cas typique d'abus de droit se présente lorsqu'une partie se prévaut d’un vice de forme après avoir auparavant exécuté le contrat essentiellement de son plein gré et en toute connaissance de cause. Inversement, il n'y a pas d'abus de droit si la partie agit en ignorant le vice de forme et n'a pas exécuté les prestations convenues ou du moins pas pour l'essentiel. Dans ce cas, elle ne peut pas être contrainte à l'exécution mais doit réparer le préjudice causé par le vice de forme.

Dans le cas concret, un contrat de location écrit faisait également état d' une promesse d'achat. Les deux parties étaient conscientes du vice de forme, mais n'avaient entrepris aucun acte d'exécution en vue du transfert de propriété dudit bien immobilier. Au contraire, la propriétaire avait même refusé à plusieurs reprises les projets d'acquisition de la locataire. De plus, les discussions sur le prix d'achat, qui avaient incontestablement eu lieu, n'avaient abouti à aucun accord viable. Le fait que le contrat de location ait été honoré pendant plusieurs années n'était dès lors pas pertinent à cet égard, puisqu'il ne s'agissait que de l'exécution de la promesse d'achat. En conséquence, le Tribunal fédéral a estimé que les circonstances exceptionnelles d'un abus de droit faisaient ici défaut.

Erreur essentielle lors d'un achat immobilier (TF 4A_29/2021)

Si une partie constate a posteriori qu'elle s'est basée sur des hypothèses erronées lors de l'achat, elle tente souvent d'obtenir l’annulation en invoquant une erreur essentielle.

La loi prévoit également que si une partie se trompe sur un point essentiel lors de la conclusion du contrat, le contrat ne la lie pas (art. 23 CO). L'erreur est essentielle lorsqu'elle porte sur des faits que la loyauté commerciale permettait à celui qui se prévaut de son erreur de considérer comme des éléments nécessaires du contrat (art. 24, al. 1, chif. 4 CO). En plus de ce caractère essentiel subjectif, il doit également exister un caractère essentiel objectif, c'est-à-dire que la circonstance doit également apparaître, du point de vue de la loyauté commerciale, comme un fondement nécessaire à la conclusion du contrat.

Le Tribunal fédéral a apporté les précisions supplémentaires suivantes : l'erreur essentielle peut également porter sur une chose future, dans la mesure où celle-ci pouvait être considérée objectivement comme certaine lors de la conclusion du contrat et que la partie adverse aurait dû reconnaître, selon les règles de la bonne foi de mise dans les relations commerciales, que la certitude de la survenance de cet événement futur était une condition contractuelle pour l'autre partie. En outre, l'erreur dite essentielle peut également entraîner l'annulation du contrat si elle est due à la négligence de la personne qui s'est trompée. Toutefois, il doit alors des dommages et intérêts à l'autre partie conformément à l'article 26 CO.

Dans le cas concret, la vendeuse était physiquement handicapée et avait donc voulu aménager un appartement avec ascenseur dans la grange située sur le terrain d'achat, laquelle se trouvait en zone agricole. La direction des travaux publics du canton et les personnes compétentes de la commune lui avaient toutefois fait savoir en 2016 que cela était exclu en raison de la situation de ce bâtiment en zone agricole. Elle a donc décidé de vendre. Peu après l'authentification du contrat de vente en 2020, elle a appris que le règlement de construction et de zone serait modifié et que la transformation serait possible après un reclassement en zone de hameau. Dans ce cas-ci, il y avait donc un cas d'erreur, mais la vendeuse ne pouvait pas l'invoquer à raison, car selon l'art. 25 al. 1 CO, la partie qui est victime d’une erreur ne peut s’en prévaloir d’une façon contraire aux règles de la bonne foi. En l'absence de thématisation de la question de la possibilité de changement d'affectation et en l'absence d'autres indices, les acheteurs étaient en droit de supposer, selon les règles de la bonne foi, que la vendeuse avait procédé aux clarifications qui lui étaient nécessaires concernant cette (ré)affectation ; elle n'avait pas non plus indiqué aux acheteurs, de quelque manière que ce soit, que sa décision de vendre reposait sur une idée erronée concernant les possibilités de changement d'affectation. En conséquence, l'annulation du contrat pour cause d'erreur essentielle aurait été, dans le cas présent, contraire aux règles de la bonne foi.

En résumé et concernant le contrat de vente immobilière

Les jugements rendus ci-dessus et la myriade d'autres décisions relatives au contrat de vente immobilière montrent clairement l'importance d'une clarification minutieuse ("Due Diligence") et de la rédaction du contrat. C'est précisément l'usage de l'application de clauses exclusives d'obligation de garantie qui exige un examen (et un revoir) très approfondi de l'acheteur (assisté de spécialistes). Les questions qui se posent et les conditions importantes doivent être discutées avec le vendeur, être vérifiables et faire l'objet d'une réponse explicite. De même, les motivations et conditions propres à la transaction doivent être consignées par courriel ou par courrier. En fin de compte, l'achat d'un bien immobilier représente, pour de nombreux particuliers, le plus gros investissement d'une vie. Il convient donc d'investir suffisamment de temps et de connaissances dans la clarification et la rédaction de ce type de contrats.

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