Contrat de livraison successive: Un contrat assurant la pérennité

Le contrat de livraison successive est un contrat de durée innommé et global qui présente le caractère d’une vente. Dans ce genre de contrat, le fournisseur s’engage à livrer, contre rémunération du preneur, des tranches successives de marchandise dont la qualité et la quantité ont en général été fixées à l’avance. Jouissant d’une autonomie relative, les livraisons sont échelonnées dans le temps.

14/03/2022 De: Équipe de rédaction de WEKA
Contrat de livraison successive

Nature juridique du contrat de livraison successive

La large pratique du contrat de livraison successive reflète sa nécessité économique. La nature juridique de ce type de contrat apporte en effet des avantages tant au fournisseur, qui dispose, par la pérennité du contrat, d’un écoulement régulier de ses produits, qu’au preneur, qui est assuré d’une livraison à un prix convenu d’avance.

Par contrat global, il faut entendre que le contrat de livraison successive est la mise en forme d’un accord unique des parties. Il fait en outre partie des contrats de durée, car son exécution se déroule sur un certain laps de temps.

Le contrat de livraison successive, un contrat innommé

La loi ne règle pas les questions juridiques résultant des contrats de vente durables par le biais des dispositions relatives à la vente. De ce fait, les contrats de livraison successive font partie, d’après la doctrine dominante récente, du groupe des contrats innommés. Ces contrats d’un type particulier (sui generis) ne sont, contrairement aux contrats nommés, pas réglés ou réglés seulement en partie par la loi. L’autre groupe des contrats innommés, celui des contrats mixtes (mixti generis), comprend pour sa part les obligations qui procèdent de modalités propres à divers types de contrat réglés ou non par la loi.

Le contrat de livraison successive appartient aussi bien au groupe des contrats d’un type particulier (le CO ne traitant pas de la vente durable de manière spécifique), qu’à celui des contrats mixtes.

La possibilité de conclure des contrats innommés de vente repose sur le principe de liberté de contracter. S’y ajoute, pour autant que la loi n’y déroge, la clause de liberté quant à la forme (art. 11, al. 1 CO) et quant à l’objet du contrat (art. 19, al. 1 CO). Le principe de la liberté de contracter n’est cependant valable que “dans les limites de la loi”, et pour autant que celle-ci ne prescrive pas une “une règle de droit strict” (art. 19 CO).

En matière de contrats innommés, il y a un danger non négligeable d’infraction à la loi si les normes contraignantes du CO applicables aux divers types de contrat sont contournées par le recours à un contrat innommé (voir: contrat de livraison successive authentique et non authentique).

La durée est une caractéristique déterminante pour la nature juridique du contrat de livraison successive (mandat à terme). L’élément temporel est ici fondamental, étant donné que de nombreuses dispositions de droit sur la vente ne trouvent plus d’application – ou alors seulement une application partielle – en présence d’un contrat de durée.

Le contrat de livraison successive est un contrat de vente unique. Cela signifie que sa signature (contrairement à son exécution, qui est durable) repose sur une manifestation de volonté et un accord unique des parties.

Exemples de contrats de livraison successive

Contrat de livraison de bière

Le contrat de livraison de bière comporte une obligation durable de fournir et de commander un produit. L’exécution des prestations successives ne libère pas de l’obligation de base du contrat.

Contrat de location

La validité et l’effet d’un contrat de location se maintiennent durant toute la durée de son exécution.

Par contre, un contrat à terme dont l’effet diminue au fur et à mesure de son exécution disparaît avec son accomplissement (contrat de durée au sens large).

Pour la livraison d’une certaine quantité de marchandise dans un laps de temps donné, le contrat de livraison successive présente deux variantes principales:

  1. les parties laissent la question de la quantité totale de marchandise à livrer ouverte; elles se mettent par exemple d’accord pour une livraison hebdomadaire de 100 litres de boisson pour un terme non défini, et intègrent dans le contrat une clause de résiliation (contrat de durée au sens étroit);
  2. lors de la conclusion du contrat, les parties fixent d’emblée la quantité totale de marchandise à livrer, elles décident par exemple d’une livraison mensuelle d’une certaine quantité d’un produit pour une durée déterminée (contrat de durée au sens large).

La caractéristique d’un contrat de livraison successive est donc une “exécution synallagmatique (réciproque) du contrat qui se déroule pendant un certain temps”. Il se distingue en particulier des contrats suivants:

  • le contrat de vente ordinaire, qui se déroule à un moment précis;
  • les contrats unilatéraux, qui engagent une seule partie de façon durable;
  • les contrats dont la prestation et la contre-prestation uniques sont décalées. Du fait qu’il implique un rapport contractuel généralement plus important (tant au niveau des sommes que de la durée d’exécution), le contrat de livraison successive pose, pour les deux parties, des exigences sensiblement plus élevées qu’un simple contrat de vente. La loyauté et les règles de la bonne foi revêtent de ce fait d’autant plus d’importance dans ce genre de rapports commerciau

Livraison de livres en plusieurs volumes

Dans le contrat de livraison successive, il existe généralement une obligation liée au genre: la marchandise due est définie d’après son genre; la qualité et la quantité sont déterminées. Si l’objet du contrat est constitué par une série de livres faisant partie d’un tout (p. ex. un dictionnaire en plusieurs volumes), l’on se trouve par contre en présence d’une dette à la pièce. Si pour des raisons pratiques la livraison des volumes s’effectue en plusieurs tranches, il s’agira néanmoins d’un contrat de vente ordinaire. En effet, contrairement au contrat de livraison successive, les prestations séparées n’ont aucune indépendance d’un point de vue juridique. Elles n’ont du reste pas le même intérêt pour le preneur.

Livraison de livres par un antiquaire

Si un antiquaire s’engage à livrer hebdomadairement à un client un livre dans un domaine particulier, il s’agit d’une livraison régulière d’un certain genre de livres provenant d’un choix limité. Ces livraisons successives font l’objet d’un contrat de livraison successive.

Structure du contrat de livraison successive

Compte tenu de la liberté de contracter, des objets et des modalités fort différents se sont développés selon les besoins en présence. Les obligations contractuelles des parties peuvent en effet être réglées jusque dans le moindre détail. Il peut toutefois s’avérer judicieux, de laisser certains points ouverts et de décider par exemple que le prix sera déterminé d’après le marché, en prenant la moyenne des prix pratiqués au moment de la livraison sur le lieu d’exécution de la prestation concernée (art. 184, al. 3, à comparer avec art. 212 CO). Les parties peuvent également renoncer à établir des délais de livraison fixes et préférer une livraison sur appel, ou régler divers points de détail concernant les livraisons après la conclusion du contrat.

Si en raison d’un manque de manifestation de volonté de la part des parties, les prestations restent vagues, ou si elles ne peuvent être déduites des circonstances objectives, le contrat est réputé nul (l’accord sur les éléments essentiels du contrat faisant défaut).

    Tranches de livraison

    Sur le plan juridique, la tranche d’un contrat de vente jouit de l’autonomie, mais d’une autonomie limitée: en effet, dans le contrat de livraison successive, la tranche est partiellement indépendante, puisqu’elle repose sur une obligation spécifique du contrat de livraison successive, ainsi que sur une échéance propre. L’article 69, alinéa 1 CO donne aux parties la possibilité légale de prévoir de telles échéances successives. Il faut distinguer ces tranches indépendantes des tranches dépendantes d’un autre type de contrat, qui ne reposent pas sur une obligation et une échéance propres, mais font partie d’un tout indissociable (cf. p. ex. 3: les volumes d’un dictionnaire).

    1. Autonomie des tranches: implications. Dans les contrats de livraison successive, un fournisseur qui a par exemple du retard pour une livraison ne pourra pas être de nouveau en demeure pour la tranche suivante (report impossible). D’autre part, en cas de garantie pour la chose (art. 197 CO), si la tranche n’est pas livrée conformément au contrat, le preneur a le choix (art. 205 ss. CO) entre:
      • faire résilier la vente (action rédhibitoire);
      • réclamer une indemnité pour la moins-value (action en réduction de prix);
      • demander une nouvelle livraison. Il ne peut toutefois exercer ces droits qu’à l’endroit de la tranche concernée de livraison, et non pour d’autres tranches du contrat.
    2. Limites de cette autonomie: les tranches successives doivent corollairement être envisagées en tant que parties d’un tout formé par le contrat de livraison successive. Il s’ensuit que la demeure d’une des parties, divers manquements ou une impossibilité d’exécuter des obligations pour une tranche de livraison peuvent, selon les circonstances, entraîner une rupture légale de la partie du contrat de livraison successive non encore accomplie.
    3. Théorie et pratique: certains biens liquides ne peuvent être séparés en tranches distinctes et sont fournis par débit continu. Les produits solides peuvent par contre être découpés et livrés en tranches distinctes. Bien qu’elle le qualifie d’atypique, l’opinion dominante de la doctrine reconnaît comme tel un contrat de livraison successive comportant uniquement deux tranches de livraison.
    4. Ce n’est pas le paiement successif du prix par tranches qui constitue, selon divers avis de la théorie juridique, le critère décisif du contrat de livraison successive. Le versement du prix d’achat peut être fixé de différentes manières, sur entente des parties. Il peut intervenir avant ou après livraison des tranches de marchandises respectives, par paiement préalable de toutes les tranches, ou, pour les biens liquides, à intervalles réguliers (facture d’eau courante mensuelle). En cas d’absence d’accord des parties relativement aux modalités de paiement, c’est l’article 184, alinéa 2 CO qui s’applique. L’alinéa 2 de l’article stipule dès lors que les deux parties du contrat doivent “s’acquitter simultanément de leurs obligations”.
    5. Fixation ultérieure des tranches de livraison: étant donné que l’objet et la portée du contrat ne doivent pas forcément être déterminés avec précision pour que le contrat soit réputé valable, (mais seulement ses points essentiels), le contrat de livraison successive peut être assez souple quant au montant des tranches successives et des échéances de livraison. Celles-ci pourront par exemple être réadaptées par la suite, en fonction de l’évolution des marchés.
      • Dans le contrat de livraison successive comportant une clause relative à une livraison sur appel, les parties renoncent à fixer les échéances des livraisons lors de la conclusion du contrat. Le preneur a la possibilité, voire, selon les cas, l’obligation légale de donner un ordre de livraison ultérieur en fonction de ses besoins.
      • Le contrat de livraison successive peut comporter une “clause liée aux besoins”: la quantité exacte de marchandise des différentes tranches peut être déterminée par le preneur ultérieurement, en cours d’accomplissement du contrat.
      • Le contrat de livraison successive avec “clause spécifique” permet au preneur de déterminer la forme, la dimension et le genre de marchandise seulement en cours d’accomplissement du contrat. Le preneur est alors obligé d’exercer son droit unilatéral de décision.
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